L'arbre de l'oubli
de Alexandra Fuller

critiqué par Jfp, le 15 août 2012
(La Selle en Hermoy (Loiret) - 75 ans)


La note:  étoiles
mama africa
Alexandra Fuller, dans ces mémoires consacrées à sa mère, Nicola, évoque le parcours hors du commun d'une femme, belle, artiste, aimée de tous, dont la vie sera une quête incessante du bonheur, au mépris de tous les dangers. L'Afrique est en feu, au long des guerres d'indépendance qui vont entraîner la chute des grands empires coloniaux. Il va falloir quitter deux fois la Rhodésie (aujourd'hui Zimbabwe), retourner dans l'Écosse des origines, en compagnie de deux enfants (l'auteure et sa sœur Vanessa), de la statue en bronze de Wellington, d'un indestructible service de cuisine "made in France", et enfin d'un mari, Donald, qui suit et heureusement trouve toujours des solutions pour nourrir et loger la famille. La sérénité viendra sur le tard, dans une autre région d'Afrique, la Zambie, où les rapports entre européens et indigènes n'ont pas (encore) atteint de point de non-retour, et où se dresse le fameux "arbre de l'oubli". Un beau portrait de femme, empreint d'amour, un message d'espoir universel pour ceux et celles dont la vie cahote et qui doivent sans cesse remonter la pente au milieu des malheurs du monde. Un beau, très beau témoignage, qui fait chaud au cœur, écrit avec talent et beaucoup d'humour...
Mémoires de Nicola Christine Victoria Fuller 8 étoiles

Alexandra raconte la vie de ses parents. Profitant de ses vacances avec eux, se servant de ses propres souvenirs, elle retrace le passé agité de vies bien remplies.
Sa maman, Nicola, d'origine écossaise et son papa, Tim, d'origine anglaise, ont vécu au Kenya jusqu'à son indépendance, ensuite en Rhodésie avant qu'elle ne devienne le Zimbabwe, puis en Zambie où ils ont possédé une ferme. Le déroulement de leurs vies se trouvant étroitement mêlé aux événements politiques, particulièrement à la décolonisation, aux mouvements indépendantistes ou inter-ethniques. Mais tout cela, avec une distance toute britannique, un flegme authentique, même atténué par l'éloignement de leurs racines.
"Et bien que mon père soit profondément anglais, quand je suis assez grande pour savoir quelque chose de son histoire, il est déjà engagé dans une guerre africaine et son anglicité a été inhibée par plus d'une décennie passée dans ce continent intransigeant. Sous cet angle, la partie anglaise de notre identité s'inscrit comme un vide, un manque qui se caractérise par des caractéristiques héréditaires stéréotypées: l'allergie à la sensiblerie, le penchant naturel pour le blasphème, l'horreur des mauvaises manières, la méfiance inspirée par le manque d'humour."

L'auteure commence par la biographie de sa mère. Une femme fantasque, capricieuse mais pleine de vie et de dynamisme, assumant sa part de folie avec une bonne part de mauvaise foi. Elle livre ses souvenirs à sa fille, en sachant que celle ci va écrire encore un "Horrible Livre". Mais cela ne l'empêche pas d'égratigner elle-même sa fille, en se moquant de tous les traumatismes que celle-ci a dû subir et qui vont l'obliger à "consulter encore (?) un psy" ou en n'hésitant pas à lui répéter "on t'a échangée à la naissance"!
Peu intéressée par la première partie du livre; des passages décousus, des traductions frustrantes: ( Suiker Vlei: le vlei du sucre mais vlei?...), je trouvais cette biographie un peu dithyrambique.
Mais cette première partie ne concernait que "la fille kényane capricieuse, la fiancée aux souliers pointus, la jeune mère d'une drôlerie hilarante."

Suivront des années où les épreuves les plus difficiles que peut vivre une femme ne seront pas épargnées à Nicola. Et nous sommes bouleversés par le destin de cette famille et particulièrement de cette femme.
"Mais je découvris soudain deux choses qui m'apparurent avec une clarté totale: peu importe qui tire les mortiers, le bruit est le même; et rien ne serait plus jamais sûr et sans danger."
Les années rhodésiennes éprouveront le courage et l'attachement de la famille Fuller.
"Les gens demandent souvent pourquoi mes parents n'ont pas quitté l'Afrique. Simplement cette terre les a possédé. La terre est l'histoire d'amour de maman et c'est la religion de papa."

Et on reste admiratif devant cette capacité, arrivés à la soixantaine, de repartir à zéro dans un nouveau pays pour créer une nouvelle ferme, pour commencer une nouvelle aventure. Ce sera aussi une geste d'amour de Tim pour sa femme que les séries de drames auront fragilisé, pour éviter qu'elle ne continue à se réfugier dans "un monde subaquatique inatteignable". (Dommage que le même mot -subaquatique- soit repris trois fois en 20 lignes...)

Alexandra Fuller a transcrit de façon parfois déroutante ou décousue la vie de sa famille et plus particulièrement de sa mère en disant son admiration pour le courage de cette femme, mais aussi son exaspération devant certains traits de son caractère qui ont pu la faire souffrir dans son enfance. Une lecture agréable pour des destins hors du commun.
"A nous, disait-elle, il n'y a personne comme nous. Et s'ils ont jamais existé, ils sont tous morts."

Marvic - Normandie - 65 ans - 27 avril 2013