L'arc-en-ciel blanc
de Akira Yoshimura

critiqué par Myrco, le 9 août 2012
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
sombre et beau...
Ce recueil réunit 4 nouvelles poignantes, d'une intensité dramatique parfois à la limite du soutenable, quatre nouvelles que relient entre elles les thèmes de l'enfance et surtout de la mort et dont la forme épurée les fait luire de l'éclat sombre du diamant noir.

Publiées entre 1953 et 1964 (autour de la trentaine de l'auteur), elles ont pour toile de fond un Japon d'après défaite, économiquement exsangue et sous occupation américaine.

Dans "L'arc-en-ciel blanc", une toute jeune mariée victime d'un traumatisme ne parvient pas à avoir une relation sexuelle normale avec l'homme qu'elle vient d'épouser. Bientôt, elle lui avoue les faits qu'elle lui a cachés…
Dans "L'été en vêtements de deuil", un petit garçon, Kiyoshi, orphelin, vit sans amour, dans la vaste demeure de sa grand-mère paternelle. Un couple apparenté à cette dernière loue un petit local au fond du jardin et vit dans l'attente impatiente de sa mort et de son héritage. Leur petite-fille, médiatrice de cette attente, est la seule compagne des jeux innocents ou morbides de l'enfant. De son côté, la grand-mère vit dans le souvenir de son fils mort sur lequel elle a concentré tout son affect et qu'elle n'aspire qu'à rejoindre...
Le "héros" d'"Etoiles et funérailles", Jirô, un adolescent "de seize ans au cerveau déficient" fasciné par le "souvenir éclatant" des rituels funéraires gravés dans sa mémoire d'enfant lors de l'inhumation de son père, acquiert bientôt le statut de détenteur des codes et garant du respect des protocoles funéraires et devient officiant obligé de toutes ces cérémonies... Un jour, il se prend de sympathie pour la petite Tokiko, une pauvre gosse qu'il ne demande qu'à aider...
Enfin, dans "Le mur de briques", deux enfants que leur mère ne parvient plus à assumer matériellement voient leur vie basculer avec l'arrivée d'un beau-père qui les installe dans l'enceinte du centre de recherches pharmaceutiques où son travail consiste à s'occuper des animaux dont le sort est d'être sacrifiés à la science. Un jour, ils assistent à une scène particulièrement atroce et traumatisante. Le jeune garçon décide alors de sauver un cheval promis au même sort...

Dans trois nouvelles sur quatre, les héros sont des enfants: enfants meurtris, orphelins ou abandonnés, victimes de traumatismes, de non amour, de drames de la misère, confrontés trop tôt à l'horreur de certaines situations, parfois à la monstruosité des adultes. Comment ne pas être saisi aux tripes par cette miniature de mère courage qu'est Tokiko, petite victime déchirante de la misère et de l'indignité maternelle? Quant à la nouvelle dont les héros ne sont pas des enfants, elle est néanmoins traversée par l'existence d'un petit être innocent qui paiera un lourd tribut aux violences perpétrées en état de guerre.

Quant à la mort, tabou de nos sociétés occidentales (de moins en moins peut-être), omniprésente dans la culture japonaise, elle constitue ici le tissu même de la narration: suicide ou angoisse du suicide de l'autre, mort subie, choisie ou infligée, mort apprivoisée, mort appelée comme une délivrance, fascination pour la mort elle-même ou les rituels qui lui sont liés...
Soulignons également le sentiment oppressant de l'inéluctabilité de l'accomplissement du destin. Seule peut-être la première nouvelle ménage-t-elle une espérance. Faut-il voir dans le lait qui jaillit du sein (origine du titre ??) au prix de la douleur infligée au corps d'une mère l'acceptation d'un deuil qui autorise un nouveau possible?

Pa ailleurs, Yoshimura use d'une économie de moyens telle qu'il ne livre pas toujours toutes les clés d'interprétation au lecteur (à moins que certaines ne m'aient échappé). Ainsi, l'acte d'Ayako est-il un acte délibéré, manqué ou est-ce un accident? Le doute est permis me semble-t-il. Ici, l'écriture élégante, épurée délicate, se veut toute en pudeur, en suggestion; paradoxalement, c'est dans "L'arc-en-ciel blanc" qu'elle m'a paru la plus aboutie alors qu'il s'agit d'une oeuvre de jeunesse. Dans l'une des scènes essentielles, le discours se focalise sur un détail, cette "croix de la Crucifixion" sans qu'il soit besoin d'en dire plus sur le ressenti de la douleur physique et morale. C'est remarquable! J’étais restée sur le sentiment d'une certaine platitude de la langue après la lecture de "Liberté conditionnelle": sans doute était-ce une option de sobriété extrême voulue par l'auteur eu égard au sujet, peut-être était-ce également un problème de traduction.
"L'arc-en-ciel blanc" aura effacé ma perplexité en la matière et je ne demande désormais qu'à découvrir plus avant l'oeuvre de Yoshimura.
Ame sensible s’abstenir 9 étoiles

Voici un petit recueil de 4 nouvelles rédigées entre 1950 et 1960, toutes plus lugubres les unes que les autres.
Le Japon aurait-t-il tellement souffert à cette époque, juste après la guerre ?

Attention spoiler
En tout cas, les enfants naissent pauvres, n’ont que la peau sur les os et les mères ont du mal à joindre les deux bouts. Tant et si bien que l’une d’elle prépare la corde pour les pendre… Une autre laisse tomber son nourrisson non désiré par la fenêtre… Un petit garçon solitaire ne fait rien pour délivrer sa grand-mère tombée (volontairement ?) dans une cache secrète… Jusqu’au dernier qui étrangle la petite fille à qui il apportait de temps en temps de l’argent, car, croyait-il c’était son désir d’en finir avec la vie..
Fin du spoiler

Le tout décrit dans un environnement peu hospitalier, il pleut ou il neige, tout semble désertique et les rapports humains sont compliqués..

Malgré tout, j’ai pris du plaisir à lire ces 4 petits bijoux rédigés dans une écriture fine et intelligente, parsemée de descriptions précises où l’émotion transparaît à chaque page, parfois entre rêve et réalité.

Darius - Bruxelles - - ans - 31 janvier 2013