Petite musique pour amoureux
de Lawrence Durrell

critiqué par Jlc, le 7 août 2012
( - 81 ans)


La note:  étoiles
L’apprentissage d’un nihiliste joyeux.
Lawrence Durrell, l’auteur du magnifique « Quatuor d’Alexandrie », aurait eu cent ans cette année. Pour célébrer l’événement, son éditeur a traduit en français son premier roman, paru en 1935 dont l’auteur n’avait pas souhaité la réédition. A-t-il eu raison ? A-t-il eu tort ?

« Petite musique pour amoureux » est un roman d’apprentissage. Durrell aurait dit-on mis beaucoup de lui même dans le personnage de Walsh et glissé des souvenirs autobiographiques. Mais, comme l'a écrit Vladimir Volkoff dans une préface au Quatuor, « un roman est un roman et non pas une fausse histoire vécue ». Celui-ci est composé de trois parties : une enfance heureuse dans l’Himalaya malgré la mort en couches d’une mère indienne et les absences d’un père ingénieur anglais conducteur de travaux dans la perle de l’Empire ; une adolescence solitaire, respectueusement ironique et indifférente dans un pensionnat anglais ; une jeunesse de rupture où ce « lunatique dépressif », selon ses professeurs, devient un « nihiliste joyeux ».

Après un prologue de bonne facture qui raconte l’accouchement de Walsh, l’enfance des grands espaces s'anime avec l’arrivée hilarante de l’excentrique et anglicane tante Brenda, et sa lutte contre le père jésuite qui éduque le jeune garçon. D’autres personnages, eux aussi singuliers, participent à la construction de l’enfant comme ce chasseur de papillons qui conseille à Walsh de « tout observer et tout garder en mémoire » ou la grand-mère, personnage qui impressionne son petit-fils par sa religiosité et ses remarques qui se veulent rassurantes et n’en sont que plus effrayantes : « Ne crains pas la mort. Il faut dix ans aux vers pour ronger un cercueil ».

Le pensionnat se révèle une expérience difficile pour un enfant qui a vécu libre et découvre l’emprisonnement. Son détachement, sa distance avec l’enseignement, son esprit critique, son indifférence vont vite balayer des principes qui n’étaient que des consignes : Etre un homme; se souvenir qu’il est anglais de naissance et s’en montrer digne ; se réjouir du cadeau suprême qui lui est fait : une scolarité anglaise. Tout ceci ne va que lui inspirer « un profond mépris pour l’abominable ignorance des bâtisseurs d’empire, le prétendu altruisme, la sinistre bêtise de l’esprit d’équipe ». La rencontre avec Ruth qui lui conseille de « ne jamais avoir honte », sera le seul beau moment de liberté dans cette Angleterre de boutiquiers.

La dernière partie raconte le temps « des jeunes gens en colère » dont Durrell fit partie dans les années 30 et pour qui « la seule et unique issue conduirait à une vie étriquée, à la crainte d’une opinion futile et inconstante, à la stérilité mentale, à la lâcheté et aux innombrables et sinistres impostures de la société bourgeoise ». Et là on entend « la voix malicieuse de l’auteur et son rire étouffé » comme le remarque Michel Déon dans sa préface.

On reste partagé à la lecture de ce roman écrit à vingt ans entre une admiration certaine pour ses qualités d’écriture et un manque de ressorts romanesques ; entre une vision grinçante de la société anglaise des années trente et des passages beaucoup plus convenus et souvent trop longs. « Il faut que le roman raconte » disait Stendhal. Cette petite musique décrit plus qu’elle ne raconte, à mon goût. Ce livre devrait intéresser ceux qui ont été subjugués par le « Quatuor d’Alexandrie » et ainsi leur permettre de mieux percevoir comment et pourquoi ce jeune homme doué est devenu un très grand écrivain. Pour les autres, laissez vous d’abord fasciner par l’univers de Lawrence Durrell, l’Alexandrie de Justine, Balthazar, Mounolive, Cléa et quelques autres.