Un homme qui dort
de Georges Perec

critiqué par Lucien, le 7 novembre 2002
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Si la vie était un songe...
Tu fais connaissance avec le petit volume que tu viens de déballer. Il s'agit d'un récit de Georges Perec intitulé «Un homme qui dort».
L'œuvre a été publiée en 1967 par les éditions Denoël, 19, rue de l'Université à Paris. C'est un petit livre de 156 pages, à couverture jaune pâle, ou paille, ou plutôt crème. Le nom de l'auteur est imprimé en rouge, le titre en noir avec une seule majuscule : celle de l'article.
Tu tournes la page de garde et découvres une épigraphe empruntée à Franz Kafka : " Il n'est pas nécessaire que tu sortes de ta maison. Reste à ta table et écoute. N'écoute même pas, attends seulement. N'attends même pas, sois seulement silencieux et seul. Le monde viendra s'offrir à toi pour que tu le démasques, il ne peut faire autrement, extasié, il se tordra devant toi. "
Dès les premières pages du récit, tu es frappé par l'emploi exclusif de la deuxième personne, qui te rappelle un roman de Michel Butor : "La modification".
«Dès que tu fermes les yeux, l'aventure du sommeil commence.» Tu fermes un instant les yeux, tu goûtes mentalement cette ivresse, cette torpeur que tu connais bien. Tu laisses entrer en toi l'oubli réconfortant. Tu t'imagines qu'après tout, ce doit être ça, la mort, un éternel sommeil sans rêve. Tu t'abandonnes, déjà tu planes. Tu te secoues, il faut poursuivre ta lecture. Le livre est court, tu l'auras parcouru en moins de deux heures. Alors viendra le moment de dormir.
«Deux heures sonnent au clocher de Saint-Roch.» Huit heures sonnent au clocher voisin. Ta vie, même si tu la veux libre, détachée, est rythmée par un temps qui t'est imposé. Tu dors la nuit, tu accomplis le jour les gestes de l'existence. Tu es soumis au temps, celui des horloges et des sabliers. Même après ta mort, pourras-tu empêcher que le temps agisse sur ta dépouille, que les étapes de ta décomposition s'accomplissent une à une, dans un ordre immuable que tu ne peux enfreindre ? Pourras-tu empêcher que le temps agisse sur le souvenir, sur cette image de toi que les autres façonneront pour te remplacer ?
«Tu regardes le plafond et tu en découvres les fissures, les écailles, les taches, les reliefs.» Tu y vois ton cadavre, tu y lis ton faire-part de décès. Tu imagines ton linceul, ton convoi funèbre, le prêtre t'accueillant dans l'église, ou les flammes s’emparant de ton cercueil, tes cendres dispersées.
«Quelque chose se cassait, quelque chose s'est cassé.» C'est vrai que tu avais depuis longtemps la sensation d'être en faute.
Comme tout le monde.
Eternel vilain petit canard inadapté, albatros cloué au sol, toujours de trop, toujours de trop…
«Tu n'as guère vécu, et pourtant, tout est déjà dit, déjà fini. Tu n'as que vingt-cinq ans, mais ta route est déjà toute tracée. Les rôles sont prêts, les étiquettes : du pot de ta première enfance au fauteuil roulant de tes vieux jours, tous les sièges sont là et attendent leur tour. Pourquoi continuerais-tu ?» Tu n'as que dix-huit ans, ou quarante, ou soixante. Et tout est prêt pour le grand saut. Oui, pourquoi continuer, si ce n'est justement pour essayer quand même, pour tenter l'aventure, ou pour la prolonger…
«Tu préfères être la pièce manquante du puzzle. Tu es invisible, limpide, transparent.» C'est faux. Il faudrait pour cela pouvoir gommer les autres. Si tu meurs, tu ne pourras jamais t'empêcher d'avoir existé. Tu ne pourras pas empêcher ton image de vivre encore dans la tête des autres, d'y proliférer comme une tumeur, d'y faire résonner son tic tac comme une bombe à retardement. Tu existes à autant d'exemplaires que tu connais d'êtres.
«Tu n'es pas mort et tu n'es pas plus sage.» Tu arrives à la fin du récit de ce Perec. Tu te rends compte que son unique personnage – qui te ressemble tant – a lui aussi connu la brûlure de l'absurde, la tentation de l'indifférence, le désir de l'anéantissement. Et qu'il en est revenu.
Tu refermes le livre. Tu te souviens de Paul Valéry : Le vent se lève, il faut tenter de vivre.
morne rêverie 5 étoiles

Un homme qui dort ? Le narrateur ! qui rêve plutôt... sur sa condition. Il a 25 ans et tout semble terminé pour lui.
Georges Perec (1936-1982) fait partie du groupe Oulipo (écrire sous certaines contraintes littéraires). Il a fait paraître La disparition en évitant la voyelle « e », c'est de la lipogrammatique. Ecrivain, mais aussi verbicruciste ! En 1965, il obtient le Prix Renaudot avec Les choses et en 1978 le Prix Médicis avec La vie mode d'emploi.
Le narrateur, vingt-cinq ans, n'est pas spécialement bien dans sa peau. Le décor quotidien n'est pas favorable. Il habite à Paris, mais tout n'est pas si rose ! Un misérable logement, un voisin de palier qu'il entend mais avec qui il ne communique pas. Ses occupations journalières ne sont que banales routines : lire Le Monde, des romans, se retrouver au cinéma, errer sur les boulevards. Il rejoint ensuite Auxerre, son milieu familial de sa prime jeunesse mais, là aussi, rien ne le tente. Retour à Paris où la déprime le reprend. Le néant est-il une raison d'être, de vivre ? Il s'y complet...
Georges Perec manipule habilement la langue française. Le lecteur se laisse envahir par cette nonchalance, ce mal-être non exprimé, cette répétition d'occupations par trop banales. A déconseiller aux lecteurs qui ont le bourdon !

Ddh - Mouscron - 82 ans - 15 août 2017


Un tournis 6 étoiles

Ce livre de Georges Perec est l’inverse de son roman « Les Choses ». C’est l’histoire, la narration d’un type insensible, indifférent aux choses , qui se promène à Paris et dans sa chambre et se laisser tomber, couler ; un type qui se replie sur lui-même parce que le monde ne lui parle plus.
On dirait un gars en pleine désillusion, limite dépressif. On pourrait lui reprocher sa passivité mais ce serait désorienter son postulat, ses recherches – pour autant qu’il cherche encore quoi que ce soit - .... A part son voisin, qu’il ne connaît pas mais qu’il devine, aucun être humain à l’horizon …
Donc, dans sa chambre, il prend contact avec son corps et analyse comment il réagit. Toute son anatomie y passe, des cheveux jusqu’aux pieds, point par point. On pourra tout de même s’étonner qu’il n’éprouve aucune sensation dans ce qui est tout de même primordial : son sexe, sa sexualité ( à part « mon sexe est une étuve « , rien de rien. Comprenez que ce n’est pas une critique mais juste une constatation ( jusqu’à nouvel ordre, l’auteur fait ce qu’il veut de son œuvre ). Oups !
Dans son errance à Paris, il « avale « des quantités d’objets, d’images, d’immeubles , …mais également et exclusivement de façon passive.
Cette lecture rend un tantinet mal à l’aise. Comme écrasé, sonné.

Extrait :
- Vie sans surprise. Tu es à l’abri. Tu dors, tu manges, tu marches, tu continues à vivre, comme un rat de laboratoire qu’un chercheur insouciant aurait oublié dans son labyrinthe.

Catinus - Liège - 72 ans - 9 janvier 2011