Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?
de Georges Perec

critiqué par Lucien, le 7 novembre 2002
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Gag!
«Le calembour, c’est la fiente de l'esprit», disait en substance Victor (Hugo) cité par Boby (Lapointe). Disait Victor avec la condescendance des gens sérieux.
Ceci pour prévenir les gens sérieux : surtout, ne lisez pas ce petit (très petit) livre où Perec donne libre cours à son sens (très grand) du calembour.
Revenons à Hugo (Victor). Fiente de l’esprit, fiente de l’esprit. Appelons les choses par leur nom : ne faut-il pas que l’esprit chie? Sinon, qu'arrivera-t-il à l'esprit à part tomber dans la bradypepsie, de la bradypepsie dans la dyspepsie, de la dyspepsie dans l'apepsie, de l'apepsie dans la lienterie, de la lienterie dans la dysenterie, de la dysenterie dans l'hydropisie, et de l'hydropisie dans la privation de la vie, comme dirait Jean-Baptiste (Poquelin). Or, la privation de la vie, c'est la mort. Or, un esprit mort, ce n'est pas un esprit, par définition, puisque l’esprit est immortel. Quod erat demonstrandum. N'en déplaise au fils du héros au sourire si doux.
Revenons à Georges (Perec). L’argument de ce bref (très bref) roman est extrêmement mince : un certain Karachose (Karamachin, Karamanlis, Karaboudjan, Karalépipède…) au nom imprononçable, militaire, amoureux, deuxième classe dans l’armée française mais d'origine turque (peut-être) n’a pas du tout envie d’aller se battre en Algérie (car c’est la guerre d’Algérie, avant que la paix elle soit signée donc, le détail a son importance sinon ce ne serait pas la guerre), par conséquent un certain Kara-comme-tu-dis (Karawasch, Karaboom, Karahoquet, Karabesque.) demande à son copain de chambrée le maréchal des logis Pollak Henri – qu’est pas un imbécile vu qu’il est premier maréchal des logis - de lui trouver une combine, à lui Karastumpf (Karastein, Karajeanne, Karamelle, Karakiri.), vu qu’il (Karaquelquechose,pas Pollak Henri) est amoureux et qu’il a pas du tout envie d'abreuver de son sang pur les sillons de la riante Algérie, de lui trouver une combine, donc, pour lui éviter le casse-pipe, et il le demande donc, ce truc pour lui éviter de répandre ses boyaux dans les djebels, au premier maréchal des logis Pollak Henri - qu'est pas du tout un imbécile vu qu'il est premier maréchal des logis chef et qu'il possède de surcroît un magnifique petit vélo(moteur) à guidon chromé (qu'il lui arrive de garer au fond de la cour, quoi de plus normal par les temps qui courent) avec lequel, chaque soir, il rejoint ses potes restés dans le civil aux alentours de Montparnasse où c'est qu’il est né et où c’est qu'il possède de surcroît son appartement, son Encyclopédie et sa souris (car lui aussi possède une nana, nonobstant qu'on ne naisse pas femme mais qu'on le devienne - je vois franchement pas le rapport). Vous suivez ? Le Pollak Henri et ses aminches réussiront-ils à éviter le casse-pipe à Karasteni (Karawann, Karaniette, Karawurtz, Karacalla.) ? Vous le saurez en lisant ce mince (très mince) opuscule où Perec (Georges), digne fils de Raymond (Queneau) se livre (dans ce livre, donc) au savant plaisir de la répétition-variation, procédé dont raffolent les grands enfants capables de ne pas bouder leur plaisir devant des calembours aussi foireux que celui-ci (breveté d'Etat-Major, couronné par diverses Académies Militaires, et double au surplus car la maison ne recule devant aucun sacrifice) :
«. un copain qui était médecin à Pau (précisons tout de suite qu’il n'était pas dermatologue et que sa femme n’était pas écuyère).» On appréciera aussi, dans la même veine (ce serait plutôt une artère, tant abondent les exemples), la désopilante préparation pharmaceutique de la page 80 (allez-y voir vous-mêmes, paresseux).
Bref, un hénaurme pastiche de la LLLITTTéRRRATTTURRRE combattue avec ses propres armes (l’index - non exhaustif - recense environ deux cents figures de style aux noms aussi familiers que l'antonomase, l'apophtegme ou l'hypozeugme). De quoi, si l’on le souhaite vraiment, faire une lecture sérieuse de ce minuscule (très minuscule) opuscule. Mais serait-ce vraiment sérieux?
Drôle de petit livre... 8 étoiles

ou petit livre drôle ! Un peu désarçonnée en commençant cette lecture très éloignée des constructions classiques littéraires ; surprise aussi par le ton gouailleur des montmartrois. Les répétitions, les inventions lexicales s’enchaînent.
La bande de copains est vraiment pleine de bonne volonté pour éviter à un militaire qu'ils ne connaissent même pas, de se retrouver en Algérie. Lui casser le bras, le pousser dans l'escalier…
Non vraiment, ils sont adorables, prêts à rendre ce service avec beaucoup d'application.
Tout ça pour ce brave Karamanlis ou Karawasch ou Karacouvé ou Karanoia ou Karadine…
Rien que la liste des noms attribués à ce pauvre homme suffit à déclencher l'hilarité.
Un petit livre idéal pour une salle d'attente, à condition que le médecin n'ait pas trop de retard !

Marvic - Normandie - 65 ans - 4 janvier 2018


Perec au sommet. 8 étoiles

Etre drôle en n'utilisant que des mots est sans doute ce qu'il y a de plus difficile à faire. Je connais pour ma part peu de réussite en dehors de certains auteurs de SF anglo-saxons. L'écrivain le plus drôle de l'OULIPO, Perec réussit là un tour de maître mêlant humour et figures de style.

Yeaker - Blace (69) - 50 ans - 29 décembre 2010


Un grand petit livre 9 étoiles

Voilà un petit livre (petit par son nombre de page) qui offre une pause rafraîchissante entre des bouquins plus volumineux ou au ton plus sérieux.
Un style enlevé, un ton potache qui donnerait l'impression trompeuse que c'est une oeuvre facile. Facile à lire incontestablement, mais extrêmement difficile à écrire (comme souvent ce qui paraît naturel et simple)
Merci M. Perec pour ce grand numéro de funambule

Wmgec - - 55 ans - 23 mars 2006