Brisure à senestre
de Vladimir Nabokov

critiqué par Aaro-Benjamin G., le 29 juillet 2012
(Montréal - 55 ans)


La note:  étoiles
L’oppression
Écrit quelques années avant 1984 de Orwell, ce roman est la version de Nabokov d’une dystopie se déroulant dans une nation européenne non nommée, dont le sort est entre les mains de Paduk, un leader despotique qui met de l’avant l’idée que l’État est bon malgré son omnipotence. Dans cette société, la diversité est découragée. Afin de contrer la dissidence, Paduk tente d’engager un ami d’enfance devenu philosophe, Adam Krug. Lorsque ce dernier refuse d’adhérer à l’idéologie fondatrice du parti, son jeune fils unique se fait enlevé…

Évidemment, il est difficile de ne pas comparer cette œuvre aux nombreux autres bouquins similaires et en venir à la conclusion que « Brisure à Senestre » manque d’envergure. L’intérêt vient du style littéraire de Nabokov, touffu, érudit et axé sur les images. Le genre de livre qui nous conduit aussi à élargir notre vocabulaire. À la fois une force et une faiblesse, la densité de la prose de Nabokov est un véritable kaléidoscope de phrases.

L’attachement émotionnel avec les personnages est ardu. L’univers surréaliste et froid en rebutera plusieurs. Je dois dire que je me suis perdu souvent dans les dédales de ce labyrinthe avant de me rendre à cette finale cruelle et désespérante. L’histoire d’un homme libre dans un monde totalitaire est désormais un thème récurrent de la littérature et bien d’autres l’ont abordé de façon plus lumineuse et surtout plus percutante.
Bien, mais pas forcément facile d'accès 8 étoiles

Comme dans "1984" de Orwell, le propos de "Brisure à senestre" est avant tout la dénonciation de la tyrannie et du fascisme sous toutes ses formes. Krug est un philosophe et universitaire reconnu, habitant dans un pays imaginaire, qui vient de perdre sa femme. Il vit avec son fils, âgé de huit ans. Un nouveau régime vient d'être instauré, c'est une dictature dont le chef est justement un condisciple de Krug quand ils étaient à l'école primaire. Krug se veut indifférent à la politique pour autant que sa liberté de conscience soit assurée (en outre, il est persuadé que sa réputation internationale lui offrirait une protection en cas d'ennuis avec le pouvoir). Mais la liberté de conscience est impossible dans un régime totalitaire, Krug l'apprendra à ses dépens.

Un peu comme dans "Ada ou l'Ardeur", il m'a semblé que les (trop ?) nombreuses références culturelles et littéraires du récit contribuaient un peu à "noyer" celui-ci et le rendaient parfois un peu hermétique. Nabokov s'est fait plaisir, certes, mais au risque de perdre en route une partie de ses lecteurs. Il y a par exemple d'assez longues digressions sur "Hamlet", dont on a du mal à percevoir le lien direct avec le récit. En résumé, bien mais pas forcément facile d'accès.

LesGouttesDuTemps - Paris - 65 ans - 1 juin 2021


Surréaliste et drôle 10 étoiles

Dans un pays imaginaire, Paduk, le fondateur du parti de « l’homme moyen » et apprenti tyran, a renversé le gouvernement régulier. Il a besoin d’une caution morale et intellectuelle à sa forfaiture. Il envoie chercher Krug, le plus grand philosophe du pays. Sur la limousine flotte l’emblème du nouveau gouvernement qui ressemble à une araignée écrasée mais encore grouillante. Paduk demande au professeur Krug de renier ses idéaux et d’écrire un discours à la gloire du nouveau régime. Krug refuse. Mais il a un petit garçon. Et l’Etat a un moyen de pression facile.
Brisure à Senestre (1946) est le douzième roman de Nabokov, son premier écrit en Amérique et le second rédigé en anglais. Ce n’est pas une dystopie, ni un roman sur le totalitarisme contrairement aux médiocres « 1984 » ou « Le meilleur des mondes ». Le sujet principal est l’amour d’un père pour son fils. Dans l’esprit le roman est plus proche du « Dictateur » de Chaplin. Les dialogues sont brillants, surréalistes et drôles ; l’écriture fine et inspirée : du pur Nabokov.

Ravenbac - Reims - 59 ans - 20 avril 2013