L'invitation
de Claude Simon

critiqué par Jlc, le 27 juillet 2012
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Drôle de lettre de château!
Claude Simon, prix Nobel de littérature en 1985, accepta l’année suivante de participer avec un groupe hétéroclite d’une quinzaine d’intellectuels à un voyage en URSS et plus particulièrement en Kirghizie. « L’invitation » est le récit de ce voyage sans que l’auteur nomme les invités, les hôtes, le pays, donnant à son texte une impression de très grande précision par le choix des mots et d’irréalité par son écriture.

Ce séjour, minutieusement préparé par les Soviétiques- comme le fut en d’autres temps le voyage d’automne d’écrivains français en Allemagne nazie en 1941- a pour objectif d’impressionner la brochette d’intellectuels dont on découvrira sous les périphrases qu’il s’agissait entre autres d’Arthur Miller « le second époux de la plus belle femme du monde », James Baldwin ou encore Peter Ustinov. Mais alors que les revenants d’Allemagne écrivirent pour la plupart des lettres de château sur ce qu’on leur avait montré, Claude Simon décrit l’envers du décor en homme libre pour qui « la liberté passe d’abord par le langage ».

S’il manifeste une certaine confiance dans le nouveau « Secrétaire général « « équivoque mélange de franchise et de duplicité propre aux hommes d’Etat », il reste extrêmement méfiant envers tous ceux qui l’entourent et mesure l’influence mortifère et terrifiante de son prédécesseur, mort il y a plus de trente ans, « l’homme à la moustache de bandit et la morale d’assassin ». Il mélange le présent - la visite au Bolchoï, les interminables discours des officiels, les péripéties du voyage scandé par les nécessités paperassières, les palabres, les attentes – avec le passé qu’il reconstitue comme dans ces pages prodigieuses où il imagine la fin de Staline achevé par les membres du bureau politique, « lignée de gangsters qui auraient été élevés dans un collège suisse ». Ce voyage tourne à la confusion quand les invités n’écoutent plus les interprètes perdus dans des discours incompréhensibles créant une impression décalée d’irréalité comme lorsqu’on regarde un film mal doublé. Il se termine par une procession devant les «momies embaumées des anciens émeutiers aux fronts de professeurs…leurs lèvres désormais closes. »

C’est l’écriture de Claude Simon qui donne à ce texte toute son ampleur. Ses phrases ne sont pas interminables, comme on le dit parfois de façon péjorative, mais infinies et parfaitement achevées. Les dialogues qui souvent « aèrent » un récit sont ici totalement absents. Le choix des mots est certainement très travaillé. Le texte est court et linéaire (ou presque) ce qui en facilite la lecture. « L’invitation » peut être un bon moyen pour commencer à découvrir l’œuvre de cet écrivain.

Une lettre de château est le remerciement écrit adressé à ceux qui vous ont permis de passer un moment agréable en leur compagnie. Cela fait (ou faisait) partie des usages mais cet exercice de politesse est surtout un acte de gratitude.
Je ne suis pas certains que les officiels soviétiques aient eu l’humour nécessaire pour lire cette relation de voyage parfois comique comme une lettre de château. Mais ceci n'a plus grande importance, le vent de l’histoire ayant tout emporté, sauf ce beau texte témoignage d’un passé qui s’estompe.