La petite fille devant la porte
de Mariana Kozyrieva

critiqué par SpaceCadet, le 24 juillet 2012
(Ici ou Là - - ans)


La note:  étoiles
Un peu de candeur dans un monde de...
On sait peu de choses au sujet de Mariana Kozyrieva. Née en 1928, elle a vécu à Saint-Pétersbourg et pendant qu'elle travaillait comme gardienne, elle a écrit en secret des récits pour enfants, des pièces de théâtre et de la poésie. "La petite fille devant la porte" semble être l'unique roman qu'elle ait écrit, un roman inspiré de sa vie qui fut publié en Russie en 1990, et est paru en France peu après sa mort en 2004.

Composé de trois parties, le roman relate de trois époques précises dans la vie de la narratrice, une petite fille qui, partant de ses premiers souvenirs d'enfance et allant jusqu'en cours d'adolescence, s'éveille peu à peu au monde et à la réalité d'un pays marqué par le régime stalinien ainsi que par la seconde guerre mondiale.

Entre Russie, Caucase et Ouzbékistan, cette enfant ballotée par la vie et ses courants, nous trace en une série de petits tableaux, un portrait naïf et attendrissant d'un univers qu'elle observe et découvre sans vraiment en comprendre les tenants et les aboutissants, mais dont on devine peu à peu la véritable nature.

La phrase est simple. Les mots sont judicieusement choisis. Le ton est juste et en accord avec l'évolution de la narratrice. Les choses sont narrées, sans être nommées ou explicitées, conférant au récit une approche expérientielle qui se distingue avantageusement du témoignage.

Les personnages que l'on croise en cours de lecture sont nombreux mais tous sont personnalisés par leur aspect, leurs manières, leur accent, ou par une façon particulière qu'ils ont de s'exprimer.

Au surplus, l'inclusion de termes en langue ouzbèke, ainsi que des détails portant sur certains usages de l'époque ou encore sur des us et coutumes régionaux, contribuent à la vraisemblance de l'histoire.

Ajoutons à cela diverses références littéraires parsemées au long du texte qui, non seulement témoignent d'un amour des lettres et des livres, mais établissent également une relation particulière entre l'auteur, la narratrice, le lecteur et le récit.

Bref, voici un court roman bien conçu, qui pose un éclairage singulier sur une époque et les événements qui l'ont marqué.
Fragments d'enfance 8 étoiles

Mariana Kozyrieva nous livre des fragments de son enfance dans un pays en pleine mutation. Face à la folie , l'instabilité politique, l'engagement de ses parents, la petite fille sera contrainte à de nombreux déménagements, dans des régions ou auprès de gens qu'elle ne connait pas.
"Je sais que je passerai éternellement de main en main comme un seau d'eau lors d'un incendie."

Mais ce qui est incroyable, c'est le récit de cette petite fille qui trouvera toujours des points d'attache, des moments lumineux même pendant ses périodes orphelines, sans nouvelles du sort de ses parents, même quand elle sera confrontée à l'absurdité du monde des adultes.
"Ils ont appelé tout le monde à voter à l'unanimité pour qu'une requête soit déposée auprès des organes afin que le groupe de saboteurs démasqués, l'ex-directeur M, l'ingénieur en chef V et le professeur M soit condamné à la "mesure suprême de défense sociale", la peine de mort.. Puis ils ont voté comme un seul homme.
Deux personnes n'ont pas levé la main. C'étaient mes parents...
Puis j'apprends par cœur les adresses de ceux chez qui j'irai quand je serai de nouveau seule. Et papa les met en vers pour qu'elles soient plus faciles à retenir."

Être capable de bonheur dans un livre, dans une amitié, dans la chaleur, dans un repas, voilà une magnifique leçon de vie que ne renierait sûrement pas M. Cyrulnik, et être capable de le transmettre avec une telle fraîcheur et une telle émotion est bouleversant.

Marvic - Normandie - 65 ans - 31 août 2013