La Passion de Joseph Pasquier
de Georges Duhamel

critiqué par CC.RIDER, le 23 juillet 2012
( - 65 ans)


La note:  étoiles
L'argent ne fait pas le bonheur...
1925. Alors que Cécile en est à sa quatrième tournée triomphale en Amérique et que Laurent et Jacqueline coulent des jours heureux avec leurs trois enfants, rien ne va plus pour Joseph, l'homme d'affaires richissime. Ses intrigues pour se faire accepter à l'Institut tournent court. Au Mexique, une société de recherches pétrolières lui coûte une fortune et accumule les revers : puits ne crachant que de l'eau salée, grèves à répétition et incendies volontaires. Joseph a déjà dépensé un million de francs en pure perte quand il décide de s'en débarrasser pour une somme ridicule. Il apprend ensuite que tout va mieux et que l'affaire va rapporter gros alors qu'il est déjà trop tard. Il se retrouve également avec 300 tonnes de lentilles invendables sur les bras. Son secrétaire particulier l'abandonne en rase campagne au pire moment. Hélène et lui se séparent ce qui déstabilise gravement leur dernier fils Jean-Pierre et a pour conséquence un drame dont on devine que Joseph ne s'en remettra pas.
Ce dixième tome de la Chronique des Pasquier est certainement le plus dramatique de la série. La folie mégalomane de Joseph l'a poussé au-delà des limites du raisonnable. Ses mauvais choix mettent en panne une machine à profits si bien huilée, ses accumulations de biens, ses affaires compliquées, ses trafics plus ou moins honnêtes finissent par écraser l'arriviste qui perd de plus en plus le contrôle. Et le châtiment tombe. L'argent ne fait pas le bonheur, dit-on. Duhamel le démontre magistralement dans cette histoire éminemment morale tout en immergeant son lecteur dans le monde impitoyable des affaires, monde dans lequel il faut toujours réussir. Le moindre échec amenant rejet et mépris du reste de la profession. Les méthodes des spéculateurs et autres grands financiers sont minutieusement démontées. A un siècle de distance, elles permettent même de mieux comprendre certains éléments de la crise économique actuelle.
Le mauvais maître 10 étoiles

Ce dixième et dernier volume des Pasquier nous parle de Joseph, le mal aimé de la famille, qui a consacré toute sa vie à son dieu, l’Argent. Joseph est riche à millions, il s’est enrichi à la force du poignet, par tous les moyens y compris les plus douteux ; tout fait farine au bon moulin ! tout est bon pour réussir et la réussite d’une vie, selon lui, se mesure à l’épaisseur de son portefeuille. Mais c’est aussi un travailleur acharné qui ne s’accorde jamais le moindre repos, au point d’en oublier de vivre. Le voila arrivé à un moment de sa vie où il se retrouve seul, abandonné de tous, il est devenu victime de sa passion…

Ce volume est extrêmement intéressant. Jusqu’ici, Georges Duhamel n’avait pas jugé ses personnages, qui sont, selon ses propres dires, les membres de sa famille. Mais ici il ne peut cacher son aversion pour son frère aîné. Personnellement, je pense qu’il a été injuste. Il faut faire la part des choses. Je pense que son frère a donné un mauvais sens à sa vie, l’argent est un mauvais maître. Mais il a travaillé sans la moindre concession, sans répit et avec beaucoup d’intelligence pour atteindre son but, et finalement, il a assumé sa réussite sans la moindre hypocrisie.

Il m’a fait penser à un ami que j’avais et qui me disait toujours : moi, tu sais, je ne suis pas un honnête homme. Il faisait des « affaires » et il prétendait qu’en affaires, celui qui est honnête n’a aucune chance. Il faut savoir exploiter, disait il, la faiblesse et la vanité du monde. Ce Joseph Pasquier était du même tonneau ; je pense qu’il avait fait un mauvais choix de vie mais, il était honnête avec lui-même, il assumait.

Finalement, tous les personnages de cette chronique ont tous une personnalité très forte, ce sont des vrais personnages de roman ; ils sont bourrés d’humanité, avec leurs qualités et leurs défauts, tels qu’on les verrait dans la vie. Le lecteur a toujours envie de les juger, on les aime ou on les déteste mais ils ne laissent personne indifférent.

J’ai pensé que cette chronique longue de plus de 2000 pages, pourtant sans une longueur et sans une redite, conviendrait très bien pour une lecture en famille ou pour tenir compagnie à un malade. Le fait de la lire à haute voix lui rendrait encore plus d’attrait surtout dans les très nombreux dialogues imaginés par l’auteur. L’écriture de Georges Duhamel est toujours très belle, c’est une écriture classique comme on les aime et, avec ses originalités très variées, elle amuse toujours, elle ne déçoit jamais.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 23 décembre 2023