Le monde infernal de Branwell Brontë
de Daphne Du Maurier

critiqué par Pierrequiroule, le 24 octobre 2012
(Paris - 43 ans)


La note:  étoiles
Le frère maudit
La famille Brontë compte trois célébrités, trois sœurs dont les prénoms sont associés à l’âge d’or du roman britannique. Mais si la littérature a consacré Charlotte, Emily et Anne, il en va tout autrement de Patrick Branwell. Lui, l’enfant préféré du révérend Brontë, lui dont le talent semblait si prometteur à l’adolescence, lui que l’on disait le génie de la famille, le voilà mort dans la fleur de l’âge sans un seul poème publié. Pire encore : il s’est enfoncé dans la déchéance, infligeant à ses sœurs une honte et des tourments incessants. Alcoolique, drogué, impie et désespéré, Branwell a inspiré les personnages les plus ténébreux des romans « brontiens ». Dans « Hurlevent » (Emily Brontë), il est Heathcliff, héros hanté et passionné, qui n’a plus que la force de se détruire. Dans « La dame de Wildfell Hall » (Anne Brontë), il est Huntington, un alcoolique brutal qui ruine son ménage avant de connaître une atroce agonie.

Il existe pourtant une contrée dont Branwell est le roi: c'est le pays imaginaire d'Angria, également appelé «le monde infernal ». Né sous la plume des enfants Brontë, cet univers fabuleux est peuplé de tous leurs rêves, de leurs cauchemars et de leurs fantasmes –ils les dissimulent d’ailleurs sous une petite écriture illisible,… une sorte de code secret. De ces jeux littéraires naissent la plupart des romans et des personnages « brontiens », ainsi que l’habitude d’écrire ensemble. On a conservé de nombreux poèmes rédigés à deux mains par Branwell et Charlotte, et il n’y a qu’à comparer le début du roman « Le Professeur » avec un écrit de Branwell pour connaître l’influence qu’exerce le frère sur la soeur. Certains critiques pensent même que « Hurlevent » a été conçu par Emily en collaboration étroite avec son frère. Et pourtant aucun poème signé Branwell n’a été publié ! Même constat dans le domaine de la peinture : artiste talentueux, Branwell nous a laissé quelques-uns des rares portraits que nous possédons des sœurs Brontë; mais cela ne l’empêche nullement d’être recalé à l’examen de la Royal Academy.

Toutes les créations de ce frère maudit semblent ainsi vouées à l’échec. Incapable d’accomplir ses rêves, Branwell en est réduit à gagner sa vie comme employé des chemins de fer… avant de perdre son poste pour alcoolisme. Puis il s’essaie au métier de professeur, sans plus de succès. Quant à sa vie sentimentale, elle est tout aussi désespérante. Une intrigue – en partie imaginaire- avec la femme de son employeur lui donne le coup de grâce.
« Je ne sais qu’une chose –écrit-il dans une lettre-, c’est qu’il est temps pour moi de devenir quelqu’un alors que je ne suis rien. Que mon père n’a plus pour longtemps à vivre et que lorsqu’il mourra, ma vie, déjà à son crépuscule, sombrera dans la nuit. Que grâce à ma forte constitution, je survivrai pendant des années de torture et de désespoir, suppliant la mort de me prendre. »

Dépressif et probablement épileptique, il abuse des spiritueux et du laudanum. Pendant de longs mois, il agonise au presbytère, tandis que son père prie et que ses sœurs se désolent face au spectacle de sa débauche. Cette chambre, Branwell ne la quittera plus que pour rejoindre son tombeau. En septembre 1848, à l’âge de 31 ans, il est enterré au cimetière d’Haworth, où Emily et Anne le rejoignent bientôt.

C’est ce personnage tourmenté qu’étudie ici Daphné Du Maurier. Elle-même écrivain, elle est influencée par les Brontë dans des romans comme « Rebecca » ou « Ma cousine Rachel ». Cette étude biographique (1960) est fascinante car elle met en lumière l’âme damnée de la fratrie. Elle permet de mieux comprendre l’univers des sœurs Brontë, en révélant l’influence morbide de ce frère sur leurs esprits et sur leurs œuvres.

« Heureux sont les morts, ne les plains pas,
Car si leur vie est achevée, leur tâche l’est aussi,
Et désirs et douleurs ne les tourmentent plus ;
Jamais, sous leur couche terrestre, ils ne connurent
Ce profond sommeil sans rêve qu’est le leur ;
Dans les tombeaux creusés sur la rive inconnue
Dont les Ténèbres et le Silence scellent les portes :
Détourne d’eux ta tête penchée
Et plains le MORT VIVANT – dont l’âme s’est enfuie-
Déserté par la vie, dédaigné par la mort,
Lui pour qui le Ciel est vide au-delà des nuées,
Lui que jamais n’illumine une lueur d’Espoir
LUI, la proie de ce ver qui le ronge…
De la mort INEXORABLE, des ténèbres de la tombe. »

(Poème de Branwell Brontë)