Les Maîtres
de Georges Duhamel

critiqué par CC.RIDER, le 15 juillet 2012
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Grands esprits et petites mesquineries
En septembre 1908, Joseph use du subterfuge d'une fausse ruine pour soutirer de l'argent à sa propre famille alors qu'il est riche à millions. Laurent est tiraillé entre ses deux maîtres, Chalgrin avec qui il prépare son doctorat ès sciences au Collège de France et Rohner de l'Institut Pasteur pour son doctorat de médecine. Justin est devenu simple ouvrier dans une filature à Roubaix. Sénac, après avoir travaillé pour Chalgrin puis pour Joseph, se laisse de plus en plus aller à son mal de vivre. Il se dégoûte lui-même suite à une malversation qu'il a commise.
Commencé de manière plus sombre et plus dramatique que le précédent tome de la « Chronique des Pasquier », celui-ci avance par paliers sur le chemin des désillusions. Les deux maîtres vénérés de Laurent se livrent une guerre sans merci, Rohner se montrant particulièrement odieux avec Chalgrin lequel finira mal après avoir tenté une ultime réconciliation. Il en sera de même pour Sénac, cet être malveillant et torturé qui fut pour une grande part dans l'échec du phalanstère d'artistes et qui finalement retournera ce mal de vivre contre lui-même dans une sorte de conclusion logique. Toujours magnifiquement écrite et pleine d'observations judicieuses sur la réalité humaine, cette saga familiale se poursuit sous forme de lettres envoyées à Justin par Laurent. Le lecteur, qui doit deviner les réponses, suit pas à pas le héros découvrant que, chez de grands hommes admirables et respectables, le génie scientifique peut s'allier aux pires bassesses et aux plus petites mesquineries.
La recherche scientifique 9 étoiles

Ce septième tome de la saga raconte la vie de chercheur en biologie de Laurent, le narrateur de cette saga familiale. Le style est cette fois épistolaire : Laurent envoie des longues lettres détaillées à Justin - son ami d'enfance - qui travaille en usine par conviction politique. Ces lettres sont vraiment très bien écrites, Laurent y détaille pour son ami sa vie professionnelle et cela nous donne un aperçu très éclairant de la médecine au début du vingtième siècle. En particulier comment le courant rationaliste dans la science se voyait marcher vers un triomphe certain, avec une grande arrogance. C'est l'époque de Pasteur et des grands chercheurs qui pensent que tout sera expliqué par la recherche.

Laurent travaille pour deux maîtres qui se détestent et qui se font des coup bas, ce dont il souffre beaucoup. Les autres membres de la famille Pasquier sont moins présents dans ce tome, on le regrette un peu, mais on sait qu'ils reviendront dans la suite et on s'en réjouit déjà. Vite, la suite...

Saule - Bruxelles - 59 ans - 17 novembre 2024


Les années studieuses. 10 étoiles

Surprise ! bonne surprise ! dans ce sixième tome, Georges Duhamel nous fait découvrir un nouvel aspect de son vaste talent d’écrivain : le style épistolaire. Laurent, le fils Pasquier qui incarne l’auteur, écrit sa vie à son ami d’enfance qui a émigré dans le nord de la France, à Roubaix. L’écriture de ces lettres est magnifique. Le style épistolaire de Georges Duhamel est un vrai modèle. On en arrive à regretter que, de nos jours, on ne s’écrive plus ; autrefois, dans les échanges de lettres entre amis, on se confiait, parfois on vidait son âme, on écrivait des choses qu’on ne peut pas dire de vive voix, et on était très attentif parce qu’on savait que ces lettres resteraient bien rangées dans un tiroir pour les générations futures… Mais revenons à nos chers Pasquier et continuons à nous envoyer des e-mails, on n'arrête pas le progrès !

Le jeune Laurent raconte son apprentissage dans les laboratoires de ses deux Maîtres en médecine et en science biologique. Ces deux savants ont conçu des théories différentes sur l’apparition de la vie, et ils se brocardent à coup de pamphlets dans les journaux, sous prétexte d’exposer leurs découvertes.

C’est vraiment intéressant parce qu’on voit où en était la science de la vie et de la médecine au début du XXème siècle. C’est aussi assez troublant parce qu’on constate que les plus éminents médecins tentaient des expériences sur les malades « pour faire progresser la science » et en fait, ils les expédiaient de vie à trépas. Ce qui est aussi passionnant c’est qu’on découvre comment la vanité et la jalousie, chez les plus grands savants, peuvent engendrer les pires mesquineries : on recherche les honneurs, les grands titres des journaux, les décorations, les premières places dans les assemblées… et on refuse de se donner la main entre chers Maîtres parce qu’on n’a pas développé les mêmes théories !

En tenant la plume du fils Laurent, Georges Duhamel déplore tout ça dans ses lettres à son ami. Mais j’ai vu – merci Wikipédia – que, au cours de sa vie, il s’était couvert de gloire et d’honneur, de décorations et de titres ronflants… Alors que dans ses lettres, il dit que ses maîtres sont des vaniteux. Comme on dit à la petite école : c’est toujours celui qui l’dit qui l’est.
Mais laissons ce cher Duhamel reposer en paix et saluons ses grands talents d’écrivain... Avant de nous précipiter à la découverte des tomes suivants de la chronique des Pasquier.

Saint Jean-Baptiste - Ottignies - 88 ans - 1 décembre 2023