Vingt-cinq ans de solitude : Mémoires du Grand Nord
de John Meade Haines

critiqué par Dirlandaise, le 11 juillet 2012
(Québec - 68 ans)


La note:  étoiles
Étoiles, neige et feu
En 1942, alors qu’il n’a pas encore atteint la trentaine, John Haines, originaire de Virginie, décide de partir résider en Alaska, près de Fairbanks dans une petite localité nommée Richardson. Il adopte le style de vie de l’endroit et ne tarde pas à se faire de nombreux amis parmi les trappeurs et coureurs des bois du Grand Nord. Il gagne maigrement sa vie en exerçant justement le métier de trappeur.

Ayant lu beaucoup d’éloges à l’endroit de cet homme, je voulais savoir ce qu’il avait dans le ventre. Étant considéré comme l’un des meilleurs poètes américains, j’avais très hâte de le lire. Outre un immense talent de raconteur, j’ai trouvé le début pénible car l’auteur relate en long et en large la façon dont il pose ses collets et prend de pauvres bêtes qui agonisent pendant des jours avant de mourir gelées. Il raconte aussi en détails la façon de les dépecer et comment il vide les ventres de leurs entrailles et étend celles-ci sur la neige où elles laissent une trace sanglante. Je trouvais aussi pénible sa propension à tuer toutes les bêtes rencontrées : grizzly, élans, martres et lièvres. Mais bon, il devait bien gagner sa vie mais tout cela m’était pénible et j’ai failli abandonner car je ne trouvais pas l’homme sympathique au contraire, il me répugnait presque. Mais pourtant, j’ai tenu bon et je vous conseille de faire de même car les derniers chapitres sont hallucinants de beauté et surtout, de grande humanité. Celui sur la glace est une merveille et celui sur les gens qu’il a connus en Alaska et qu’il retrouve bien des années plus tard m’a serré le cœur. Une telle sensibilité envers la faiblesse humaine est magnifique et certaines images resteront gravées à jamais dans ma mémoire.

J’ai découvert en le lisant un être merveilleux, hors du commun, qui a choisi une vie dure et rude mais ô combien exaltante et remplie de petites satisfactions comme de grands dangers. Lire John Haines, c’est partir à l’aventure du Grand Nord et de ses nombreux périls : animaux sauvages menaçants, climat extrême souvent d’une cinquantaine de degrés sous zéro, la faim guettant tout être humain vivant dans une cabane isolée, la peur, l’obscurité, les tempêtes et la neige fraîchement tombée recouvrant toutes traces et effaçant tous repères. C’est beau si beau de le lire.

J’ai appris avec grande tristesse qu’il était décédé en 2011, en Alaska. Repose en paix John Haines. Je vais continuer à te lire et il me tarde de découvrir ta poésie qu’on dit si belle. Ta renommée n’est pas surfaite j’en suis certaine.

« Car la glace et la rivière sous la glace ne restent jamais très longtemps immobiles. Encore et encore, durant ce long hiver, l’eau se fraiera un chemin vers la surface. Elle creusera une veine liquide, d’où elle surgira pour se répandre à la surface de glace et de neige avant de geler de nouveau, formant une strate fragile. Le vent apportera sa charge de neige poudreuse pour polir la glace brute, lui donner un lustre sauvage. Des fleurs délicates de givre viendront éclore à sa surface, légers pétales recroquevillés sur la glace grumeleuse, que balaiera le premier souffle de vent. Et sur cette étendue de glace neuve, le silence se fera de nouveau, le silence de la glace, inchangé depuis le premier hiver sur Terre. »

« C’est l’automne. Les feuilles volent en rafales sur le pays. Brunes et jaunes, pâles et flétries – cette « foule frappée par la peste » disait Shelley. Tout droit sorties des ténèbres du soir, elles nous volent à la figure, effrayantes. Puis, tels des spectres résignés, elles virevoltent pour se disperser dans les creux où elles restent entassées les unes sur les autres, à guetter la neige. »