Peer Gynt
de Henrik Ibsen

critiqué par Stavroguine, le 11 juillet 2012
(Paris - 40 ans)


La note:  étoiles
Soi-même à tout prix
Il était une fois un jeune homme qui, à vingt ans, rêvait encore d’aventures prodigieuses et par-dessus tout de devenir roi, et même empereur ! Mais à force de rêver sa vie, Peer Gynt cesse de vivre. Pire : le rêve devient de l’ambition et, plutôt que de « se présenter partout en portant l’écriteau de la pensée du Maître », Peer Gynt ment, dissimule, se travestit, bien décidé à saisir la moindre opportunité pour l’assouvir. Peer Gynt n’est pas simplement prêt à tout – à boire l’hydromel des trolls et à porter leur queue ; à renier sa foi en s’improvisant prophète ou sa morale en devenant esclavagiste –, il est pour ainsi dire… liquide. Faisant feu de tout bois et s’adaptant à tout, il est finalement « une feuille de papier et ne [sera] jamais écrit ». En un mot, Peer Gynt n’est rien puisqu’il n’a jamais cessé d’être un autre. En voulant être exceptionnel à tout prix, Peer Gynt n’a été que médiocre, ni vertueux ni grand pêcheur, tout juste bon à être refondu avec d’autres dans la cuiller du Fondeur de boutons.

La pièce d’Ibsen tient donc du conte philosophique, du roman initiatique, mais aussi du roman d’aventure puisqu’il y sera question de guerre, de voyages et de tempêtes, de la fable, puisée dans le folklore scandinave fait de trolls et autres créatures fantastiques, ou encore de la romance puisqu’à la fin, c’est l’amour qui sauvera in extremis celui qui n’aura jamais été un héros. En somme, le texte d’Ibsen semble être absolument tout sauf une pièce de théâtre. Seulement, contrairement à Peer Gynt, elle n’en est que trop, elle en est comme la quintessence ! Comme tout ce qui est génial, elle transcende ce qui existe pour en faire quelque chose de nouveau. Oh oui, devant l’amoncellement de personnages et de décors, on imagine bien le casse-tête qu’elle doit représenter pour n’importe quel metteur en scène, mais pour l’avoir vu jouée, je peux témoigner que rarement j’ai autant jubilé devant des planches et que jamais je n’ai autant été émerveillé par ce spectacle complet !

La lecture du texte permet d’en mieux apprécier la richesse. Elle permet aussi de prolonger la réflexion amorcée en tant que spectateur sur cette drôle de question : « Qu’est-ce que c’est, être soi-même ? »

Car Peer Gynt jamais ne cesse de clamer qu’il n’est rien d’autre. Il faut le voir à chaque nouveau poste qu’il occupe expliquer en quoi il lui correspond mieux que le précédent. Et pourtant on sait – et lui-même sait sûrement – que c’est un mensonge, qu’il n’est pas lui-même, qu’il se contente de prétendre. Mais alors, est-ce à dire qu’on ne peut mener différentes expériences et tirer des conséquences de ses erreurs ? Ne peut-on se chercher ? « C’est dans le manque de perspicacité que le type au sabot a son meilleur hameçon. », dit le Fondeur de boutons. Mais est-on donc prédestiné ? Quid alors du libre arbitre ? Saisir une opportunité, quand on vous offre d’être prophète ou roi des trolls, est-ce vendre son âme au diable ? Ou même pas, d’ailleurs ? Ou réside la limite entre l’épanouissement et l’imposture ? Ne peut-on pas rêver comme Peer Gynt ? Pourtant, Ibsen ne préconise pas qu’on soit humble puisque selon le même Fondeur de boutons, Peer Gynt devait être « un bouton brillant sur le gilet du monde ». Et mieux vaut même être un grand pêcheur que de finir dans la cuiller du Fondeur ! Et Solweig, elle qui passe sa vie à attendre Peer Gynt, a-t-elle été elle-même, cette ange ? Et pourquoi Peer Gynt, en la retrouvant sans même la chercher est-il sauvé ? Il faut être soi-même à tout prix, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Et comment savoir qu’on l’est ? Comment ne pas être un oignon, comme celui que Peer Gynt épluche dans une tyrade extraordinaire, composé d'une multitude de couches, mais sans noyau.

Cette pièce m’a fait penser à une autre pièce d’Ibsen, que j’ai vue l’année dernière, et dans laquelle il est question d’un grand architecte qu’une vieille idée à qui il a fait une promesse vient tirer de son confort. Lui aussi avait oublié d'être, avait mis son soi-même de côté pour se conformer aux attentes de la société. A juste titre ou pas, elle évoque aussi une petite phrase tirée d’une pièce assez confidentielle d’un dramaturge anglais largement oublié : « Etre ou ne pas être… ».
Un voyage fascinant 9 étoiles

Cette pièce de théâtre n'avait pas vocation à être jouée initialement, c'est pour cette raison qu'Ibsen a laissé déborder son imagination et propose des scènes difficilement transposables sur scène, même si de nombreux metteurs en scène ont relevé le défi.

Peer Gynt est un jeune de 20 ans en quête de son identité et permet d'exprimer par le biais de ce voyage fantaisiste la difficulté à être. Le personnage va parfois user du mensonge ou rêver sa vie plus que la vivre. Dans cette pièce, nous suivons le personnage dans sa Norvège natale, mais nous partons aussi à ses côtés pour le nord de l'Afrique, des univers qui ne semblent pas au premier abord facilement conciliables. Il veut être empereur, mais sera aussi prophète et marchand d'esclaves. Dans certains passages de la pièce, on suit le quotidien mouvementé de ce personnage dans son ancrage social, puis l'on basculera au pays des trolls. Lire "Peer Gynt" c'est accepter d'embarquer dans un univers fascinant et folklorique avec une dimension philosophique qui donne de la profondeur à cette oeuvre dont la puissance égale celle du théâtre shakespearien.

Dans cette pièce, il y a un très grand nombre de personnages. Lire le générique au début de la pièce est déjà un voyage : jeunes fils trolls, de vieux gnomes, le sphinx de Gizeh, un fellah portant une momie royale, un fondeur de boutons ... On imagine même assez mal comment le dramaturge va combiner ces univers différents et pourtant il y parvient. L'écriture est très belle et poétique. Les tirades de Peer Gynt sont particulièrement envoûtantes et profondes, et se distinguent de certains dialogues vifs et empreints de marques d'oralité parfois. Les actes sont longs : on imagine tout à fait la difficulté que rencontrent les metteurs en scène ne serait-ce que s'il fallait garder la totalité du texte pour le spectacle. La longueur des actes ne m'a pas gêné. Le lecteur peut s'immerger dans cet univers et ainsi mieux comprendre les enjeux de cette pièce qui interroge beaucoup sur l'être et l'identité. Tout semble converger vers ce questionnement comme si ces scènes n'étaient que des variations sur un même thème.

Cette pièce célèbre possède des qualités littéraires indéniables et se hisse au rang des meilleurs textes dramatiques.

Pucksimberg - Toulon - 44 ans - 21 avril 2021


Ô Merveille ...! 10 étoiles

Comme tout le monde, je connais Peer Gynt grâce à la suite symphonique de Grieg (ouais enfin je fais mon sale pédant mais je ne savais pas que c'était Grieg avant de le lire sur la quatrième de couverture... Je ne connaissais que l'air. Vous savez "le matin" et puis le truc avec la montagne là, celle qui fait tatatatatatataa tatataa tatataa ! Mais enfin, ça ne rime à rien...)
Après cette parenthèse enchanteresse, je veux ajouter que cette pièce de théâtre est une pure merveille. Ce n'est pas compliqué, pour moi c'est une des rares à faire autant voyager (du peu que je connaisse en tout cas...) Déjà dans le folklore nordique et puis maghrébin, ensuite dans la philosophie. Même si j'ai trouvé que l'acte quatre se déroulant au Maghreb était peut-être un peu long, Peer Gynt est un délice perpétuel ne serait-ce que pour les bons rêveurs.
Les personnages sont inoubliables, en particulier Peer, l'Authentique, qui cherche à être soi-même, qui prend la vie comme elle vient dans l'unique but de devenir "Empereur du Monde" (ambitieux le gars quand même...) Peer Gynt vous rappellera toujours quelqu'un que vous connaissez, même si vous ne savez pas qui exactement... Bref, il s'aventure dans des situations rocambolesques mais au final ne s'en sort pas forcément comme il le souhaiterait. C'est un peu ce qu'on appelle maintenant "un rêve américain" mais voué à l'échec. Un suicide onirique en quelque sorte... Enfin, quelque chose comme ça...
Ma critique n'est pas très organisée, du coup je ne sais plus où j'en suis. Disons simplement que Peer Gynt est un voyage à l'onirisme amusant et au fond philosophique, que c'est mouvementé, bien vivant, malicieux et espiègle à l'image du héros (ou de l'anti-héros, comme vous voulez), une sorte de conte fantastique sous forme de pièce de théâtre. Mais je ne trouve pas les bons mots. C'est beaucoup plus subtil.
Enfin, une pièce qui réconcilie avec le théâtre peut-être, qui me donne envie de lire plein d'autres Ibsen.
Pas étonnant que Grieg ait été si inspiré !

Benson01 - - 28 ans - 5 août 2014