La révolte des masses
de José Ortega y Gasset

critiqué par Vince92, le 17 octobre 2012
(Zürich - 47 ans)


La note:  étoiles
Un livre étonnamment moderne.
Ecrit dans les années 30, la révolte des masses est l'ouvrage le plus connu et le plus diffusé du philosophe espagnol Ortega Y Gasset. Largement ignoré du grand public, ce livre bénéficie en 2011 d'une réédition entreprise par Les Belles Lettres avec, en prime l'ajonction d'un texte inédit à la fin du texte principal.

Oeuvre de philosophie politique, la révolte des masses se situe dans cette période charnière du 20e s. , ou plus exactement, dans le prolongement du grand cataclysme de la Première guerre mondiale, conduisant par ricochet au second conflit mondial, achevant la fin du règne de l'Europe sur le monde.

Ortega y Gasset y développe plusieurs thèmes: la distinction de l'homme-masse et de l'individu (élite), la condamnation des régimes totalitaires (communisme, fascisme), fruits de la domination des masses, la fin (déjà...) du commandememt de l'Europe sur le monde, la nécessité d'union des nations européennes...
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Ouvrage riche et intellectuellemnt stimulant, la révolte des masses est néanmoins assez difficile à lire, la matière est sèche et le style assez soporifique: une motivation minimale est nécessaire afin de parvenir à la fin de ce livre. Par ailleurs, l'auteur, d'idéologie libérale met clairement en avant un élitisme parfois contestable.

Même si l'on est surpris de la modernité du constat sur les maux de la société européenne, les remèdes à leur apporter (libéralisme), ainsi que la posture de l'auteur vis-à-vis des masses trouveront chez le lecteur critique nombre de défauts.
Constat amer de l'évolution de la civilisation et dénonciation de l'émergence de la société de masse 9 étoiles

J'ai lu ce livre il y a quelques années dans l'édition NRF/Idées. Tout d'abord, il faut noter que ce livre ne constitue pas un essai : il s'agit d'une compilation d'articles parus dans un journal de Madrid vers la fin des années 20. Il se lit aisément, car les idées sont présentées simplement et nourries d'exemples. Contrairement à Vince92, je n'ai pas trouvé le style soporifique ; en outre, l'auteur est extrêmement lucide face à la montée des philosophies totalitaires.

Dans la préface, Ortéga y Gasset s’étonne et s'effraye du succès de son livre. Le succès de "La révolte des masses", écrit pour quelques Espagnols mais diffusé dans toute l'Europe, constitue pour lui le symptôme même du mal qu'évoque son livre : l'effroyable homogénéisation du monde occidental, niant les spécificités des nations et provoquant le nivellement des idéaux civilisationnels. Ortega y Gasset déplore l'émergence inexorable de la société de masse, qu'il assimile à une décadence car les individus renoncent à vivre et à penser par eux-mêmes et refusent de consentir aux efforts et sacrifices qu'impose le maintien de la civilisation, qui est le fruit d'un long labeur. L'aspiration de l'homme-masse, aux USA comme en Europe, se limite à vivre au présent, en cherchant l'aisance matérielle sans chercher à pérenniser la civilisation dans laquelle il vit et dont il a hérité, sans comprendre qu'elle est l'aboutissement d'un lent et long labeur qui doit être entretenu...
Cette situation est la conséquence de la faillite de l'aristocratie européenne, qui a cru à tort que ses privilèges étaient dus à son rang et a oublié qu'ils n'étaient que des compensations pour les sacrifices consentis au service de la civilisation (cf. l'idéal chevaleresque). Quand l'aristocratie a cessé d'être noble ('ie des hommes bons"), elle a été renversé. L'homme-masse moderne, en meilleure santé et plus savant que ses ancêtres grâce au progrès des sciences et des média, a investi tous les domaines autrefois réservés à l'élite intellectuelle mais refuse d'assumer ses responsabilités. Le succès du communisme et du fascisme s'explique par la volonté de l'homme-masse de trouver des échappatoires à ses responsabilités individuelles...
Il reste à savoir si l'avènement de l'homme-masse, pressenti par Nietzsche et Hegel, n'est qu'un symptôme de régression ou s'il peut être le premier pas vers une nouvelle forme de civilisation. Pour Ortéga y Gasset, qui encense le modèle britannique (seule nation européenne à surmonter la crise de civilisation grâce au maintien de traditions qui l'ancrent dans une continuité historique), l’Européen actuel vit en parasite sur les réalisations passées de la civilisation européenne. La vraie question, selon lui, est : ‘Quelles sont les carences de la civilisation européenne qui ont abouti à cette situation ?’

Ce livre d'Ortéga y Gasset, dont l'élitisme va à contre-courant de certains idéaux contemporains, est dénué de manichéisme et constitue un excellent stimulant pour réfléchir aux fondements de la civilisation européenne. En plus, les considérations d'Ortéga y Gasset restent pertinentes (même si elles sont discutables) et font écho à certaines considérations sociologiques sur l'individualisme, l'hédonisme moderne et l'érosion des valeurs morales (Lorenz, Lipovetsky, etc.)

Eric Eliès - - 50 ans - 8 novembre 2012