Le marchand de corail
de Joseph Roth

critiqué par Jlc, le 9 juillet 2012
( - 81 ans)


La note:  étoiles
La passion des riens
Joseph Roth se disait révolutionnaire et monarchiste. Son œuvre littéraire se situe entre le désordre d’un monde à venir et la nostalgie d’un monde disparu ou en voie de l’être. Ce recueil de nouvelles, tout à fait remarquable, en est une bonne illustration où on retrouve bien des éléments déjà évoqués ou qui le seront dans ses récits ultérieurs.

Ainsi en est-il de l’Empereur François Joseph, grande figure emblématique et nostalgique de l’univers de Roth. S’il est très présent, fut-ce indirectement, dans « la marche de Radetzki », il apparaît ici sous la forme d’un buste dont les tribulations trahissent les soubresauts d’un Empire que la régularité du pas du monarque disparu ne commande plus. « Un homme au dessus de toute nationalité et par conséquent un noble de la véritable espèce » qui avait su donner à sa patrie « l’éternelle magie de l’étranger » ce qui reste un vrai sujet de société dans un monde qui aurait tendance à se rabougrir.

Ainsi en est-il de même avec la situation géographique. Ces nouvelles se passent sur un territoire qui hésite, conséquence de la défaite, entre la Pologne, l’Autriche et la Russie, mais souvent chez Roth ses personnages ont soif d’un ailleurs et ici c’est la mer dont le marchand de corail a la nostalgie sans l’avoir jamais vue.

Ainsi en est-il encore des personnages dont beaucoup sont issus de la communauté yiddish. On retrouve même des noms d’un livre à l’autre. Comme ce Latakos, mauvais génie du héros de « Notre assassin » et syndic de faillite du « Marchand de corail ». Des personnages différents peuvent avoir des destins souvent proches et le vérificateur des « Fausses Mesures » n’est pas sans ressembler au chef de gare Fallmerayer de ce recueil. En un mot, Roth appartient à cette catégorie de grands écrivains dont on reconnaît tout de suite, quand on les a un peu fréquentés, l’univers.

Ces neuf histoires mettent en scène des personnages hors du commun ou plutôt qui ont une destinée peu commune. Tel ce chef de gare, personnage assez falot que l’amour fou va transformer et que « la démesure de sa passion privait de tout discernement ». Ou ce marchand de corail pour qui les coraux n’étaient pas des plantes mais des animaux marins et dont l’obsession était de voir la mer, « seul horizon de liberté ». Ou encore cet homme qui eut la force de caractère d’être hypocrite toute sa vie jusqu’au jour où une femme bafouée…etc.

Tout ceci est écrit avec beaucoup d’élégance, de sensibilité avec un souci du détail allusif car pour lui, « le rien est sa passion ». Cela lui permet de saisir une impression –« personne n’avait souhaité qu’elle restât en vie et c’est de cela qu’elle était morte »-, une vérité –« Il était laid, de sorte que les femmes l’aimaient »-, un désir –« Sa gorge renfermait toutes les splendeurs du lointain et de l’inconnu », une tendresse –« Les hommes aiment chez une femme la perfection qu’ils s’imaginent voir en elle »-, un moment de colère - « La vieille monarchie austro-hongroise n’est nullement morte des propos pathétiques et creux des révolutionnaires mais bien de l’incrédulité ironique de ceux qui auraient dû la soutenir avec ferveur ».

Pour Roth, « Tout, dans la vie, vieillit et s’use, les mots comme les situations ». Et certains ont parlé d’un écrivain déchu venu d’un Empire déchu. Pour l’Empire, oui certes, mai pas pour l’écrivain qui demeure, soixante trois ans après sa mort, un des grands auteurs de son siècle et lui ne s’use ni ne vieillit.