Tu as changé ma vie...
de Abdel Yasmin Sellou

critiqué par Christian Palvadeau, le 11 juin 2012
( - 60 ans)


La note:  étoiles
Connivence et fraternité
Abdel SELLOU. Tu as changé ma vie. Michel Lafon.

Je ne vous dirai pas que je suis un inconditionnel du film "Les Intouchables" puisque je fais partie des quelques Français qui ne l’ont toujours pas vu. La lecture de ce témoignage d’Abdel Sellou, celui qui est interprété par Omar Sy au cinéma, était donc en quelque sorte ma séance de rattrapage. Et franchement c’est un régal ! Quelle gouaille il a ce type !

Improbable rencontre entre un jeune arabe incontrôlable qui sort de Fleury-Mérogis et une personne tétraplégique à la suite d’un accident de deltaplane, un petit voleur dont la vie est bien mal engagée d’un côté, un homme plein aux as et à particule mais à la vie brisée de l’autre. C’est un livre hommage où l’humour et la pudeur font bon ménage. Abdel, il le dit, est loin d’être un expert en confidences, tout au contraire. Il se livre donc à un exercice dont il n’est guère coutumier et que seul le temps et son évolution personnelle rendent possible.

Il ne nie pas la souffrance de celui qu’il côtoie : "Le seul lien qui unit encore cet homme à son enveloppe passe donc par la douleur". Il la regarde en face mais ne s’y arrête pas. Pas de pitié juste de la fraternité. Il examine, et avec quelle sagesse, le rôle qu’il remplit auprès de lui, celui d’auxiliaire de vie : "Comme en matière de grammaire, l’auxiliaire n’a pas de fonction tant qu’il est seul. Il faut lui coller un verbe ou il n’est rien". Car il n’en est pas dupe c’est la grammaire de la vie qu’il apprend. Il est fichtrement admiratif de cet homme qu’il n’arrive pas à tutoyer et pour lequel il utilise toujours le « Monsieur » : "C’est un guerrier-philosophe, un Jedi échappé de Star Wars… La force est en lui".

Il l’avoue : "C’est pas toujours facile de dire merci…" et pourtant il le fait avec brio et quelques phrases comme jetées par inadvertance viennent encore le confirmer : "Il m’a offert un fauteuil à pousser comme une béquille sur laquelle m’appuyer." Plus loin encore : "Je me retiens d’écrire son nom en majuscule du début à la fin". La connivence entre ces deux êtres est magnifique, tout comme la photo de couverture. Cet homme détruit, mais qui renaît au contact de son auxiliaire de vie si particulier, est "Celui qui m’a élevé" nous dit l’auteur. Et le terme élevé, dans son double sens, prend une sacrée force dans la bouche de celui qui portait à bout de bras le tétraplégique.

C’est un témoignage drôle, chaleureux, humain, fraternel, émouvant.

Christian Palvadeau