L'origine du cérémonial
de Claude Louis-Combet

critiqué par Sissi, le 8 juin 2012
(Besançon - 54 ans)


La note:  étoiles
L'acte d'amour sublimé...
Rarement un texte n’aura évoqué l’acte d’amour charnel avec autant de magnificience, de virtuosité et de somptuosité…
Un tryptique. Trois textes fortement autobiographiques, écrits à dix ans d’intervalle les uns des autres, et finalement réunis dans une symbiose de mots absolument divins.
Le premier, « Gémellies », aborde la sexualité par le prisme de l’enfance, l’instant des premiers émois, au moment où, voyeur l’auteur se plaisait à contempler « les Lise », les jumelles Lise et Elise, lorsqu’elles urinaient ou s’entremêlaient goulûment, dans une béatitude « sans interstices » qui rappelle ou plutôt anticipe l’alchimique fusion des corps lors de l’acte charnel.

« Lise et Elise souvent s’étreignaient. Elles se prenaient par la taille, se serraient l’une contre l’autre, visage contre visage, lèvres sur lèvres. Je les sentais liées, réunifiées, chacune englobant l’autre, chacune englobée- et riant du même rire et trépignant de la même excitation. Je ne savais pas à quoi elles jouaient mais leur jeu avait l’allure d’un emboîtement et le sens d’une complétude. Quand elles s’aimaient ainsi, étrangères à tout le reste et notamment au vil petit garçon que j’étais, elles formaient un seul être, une insécable humanité, sans interstices. »

La nature, et tout son lot de visions, d’émotions, de sensations, a largement contribué à préparer l’homme dans ce qu’ils adviendra de sa virilité, à travers l’enfant encore naïf mais déjà aux aguets du bonheur des sens.
De ce « terreau de l’enfance et de l’adolescence » l’auteur ne se défera jamais et il l’amalgamera à ses expériences futures de manière très forte :

« […] toutes choses de ferveur se répliqueraient les unes par les autres : le marais et l’amante, la terre et le désir, le nuage et le visage, l’herbe et la chair.- et l’existence, en la suite des jours, serait le réseau tressé entre l’homme et la femme et cette liturgie les gémeaux dans le silence du monde. »

« Choralies », le texte le plus abouti et d’une poésie rare, explore l’acte amoureux sous l’angle du chant, l’auteur ayant ressenti ses premiers désirs sexuels (envers un garçon) lors de séances de chant choral.
La voix, le murmure, le gémissement, les modulations, le soupir, le cri…il les retrouvera, plus tard, dans les bras de la femme, mariée et plus âgée, dans une relation condamnée d’avance mais intense et forte où l’aspect subversif décuplera le plaisir.
D’ailleurs les notions de péché, de culpabilité, de douleur, voire de bassesse ou quelquefois de noirceur sont très présentes et donnent une prose plus réflexive qui se fond avec beaucoup de grâce dans la dimension poétique.

« Floralies » revient à la nature, à cette relation brute et sauvage qui lie à l’environnement terrestre et sensuel, et à la nature même de l’homme qui ne peut rester insensible à toute la dimension sexuelle qui l’entoure et le fascine inexorablement.

La postface, appelée « Eclaircissement » est tout aussi fascinante que le texte, car elle en raconte la genèse, explique le déroulement épique et fastidieux du cheminement qu’est la création, de projet en renoncement en passant par l’oubli pour pouvoir réinventer encore, et montre à quel point le chemin est long et souvent sinueux, en amour comme en littérature…

« Ici, comme dans tous mes ouvrages qui sont nourris de manière autobiographique, ma mémoire brasse constamment et indifféremment le réel et l’imaginaire, l’un et l’autre charriés dans le flux des émotions et des sentiments qui se rapportent à différents âges de ma vie. La mémoire est en travail. Elle est en création. Aussitôt qu’elle se souvient, elle invente et transforme. Sa fonction n’est pas d’histoire mais de poésie. Elle ne relate rien. Elle rêve dans la mouvance perpétuelle des impressions. Elle a moins d’attaches avec les évènements qu’avec les symboles dont les évènements furent les supports aléatoires autant que nécessaires. Infuse et diffuse, telle est la vérité du récit, dans les mots plutôt que dans les faits. Elle commence au-dedans et s’y tient. Elle s’interdit tout accès à l’extérieur. Là où se tient la vie, le silence est de rigueur. »

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