Le tueur mélancolique
de François Emmanuel

critiqué par Pendragon, le 22 octobre 2002
(Liernu - 54 ans)


La note:  étoiles
Balade... ou ballade peut-être !
Le héros de cette histoire est un homme sans attache, sans femme, sans famille, sans passion, sans signe particulier (si ce n'est un nœud papillon qui l’étrangle), sans rien. Un homme dont la particularité est le néant, il en vient, il y va… De petits boulots en petits boulots, il périclite, il erre dans ce labyrinthe qu’est la vie en ayant peur d'en trouver le centre, il préfère l’errance.
C’est un homme bon, simple, sans histoire, si ce n'est le souvenir d'un père qui tirait sur les étoiles pour qu’elles cessent de le narguer, de se moquer de n'avoir rien fait de sa vie ; si ce n'est le souvenir de ce grand-père qui est mort enchaîné à une ville, lui qui ne rêvait que de voyages.
Il porte en lui cette double mémoire, il ne peut se détacher de son destin.
Et cet homme bon se voit convier l’assassinat d'un inconnu… dans lequel il reconnaîtra tour à tour son grand-père, le voyageur, son père, qui tirait sur les étoiles et enfin lui-même, âme en peine, égarée, à la recherche de. quoi !?
Un lien se crée, une communication s’établit. Le tueur ne veut pas tuer et la cible veut mourir.
Il mènera son enquête, pour lui-même. Qui est cet inconnu qu’il lui faut tuer, d’où lui vient cette connaissance, cette philosophie de la vie ? Et au travers des réponses, il trouvera les questions qu’il ne parvenait pas à formuler.
Et puis, il y a l'amour ! Sa rencontre avec Helena, femme perdue elle aussi, mais qui lui est complètement étrangère et puis celle avec Chenga, qui accompagne l’homme qu'il doit occire et qui semble le comprendre…
Tout en finesse, François Emmanuel dresse ici le portrait d’un homme qui ne vit pas sa vie mais qui se contente de mettre un pas devant l’autre. On ressent nettement l’attrait pour la poésie dans la prose de l’auteur et les pages défilent doucement sous les doigts. On clôt ce roman avec un parfum suave et bleuté, avec un regard un peu différent sur les êtres qui nous entourent… surtout s'ils portent un nœud papillon !
Léger, clair, scintillant et profond à la fois… il vaut son pesant d'encre ce roman-là !
Un obscur enjeu de mémoire. 8 étoiles

L’incipit de ce roman « léger » est de ceux qui méritent de ne pas s’oublier : « Je n’ai jamais été très bon pour tuer les gens. » Joint au titre paradoxal, "Le tueur mélancolique", il constitue assurément un incitant à poursuivre la lecture. D’emblée, le « plaisir du texte » est au rendez-vous.

Le narrateur, Leonard Gründ, est engagé dans une agence de détectives privés. Il ne remplit au début que des fonctions secondaires mais bientôt le patron, « Stuki », le prend pour confident. Il voudrait voir en lui un alter ego, une sorte de jumeau. Il deviendra aussi, par la même occasion, une sorte de cavalier servant pour Helena Lawson, excellente amie de Stuki.

Les choses se compliquent lorsque, l’air de rien, Stuki engage une discussion sur l’euthanasie et remet à Gründ un flacon de poison. Il s’agirait pour lui de verser quelques gouttes de ce produit dans la boisson d’Abimaël Green, présenté comme une pauvre vieille chose moribonde, ce qui pourrait avoir comme effet de hâter quelque peu le trépas du dit Green, sait-on jamais, la créature est tellement fragile… En clair, Gründ est chargé de liquider Green. Et il n’a pas vraiment le choix. Il accepte donc la mission, ou dit l’accepter.

Dans une pension de famille qui n’a d’attirant que le nom ("Paradise Loft"), où séjourne notamment un charmant crocodile qui passe sa vie dans une baignoire, Gründ trouve, comme prévu, la première trace de Green. C’est une sorte d’Inca étrange et perspicace (« il est venu pour me tuer »), sans domicile fixe, accompagné en permanence par une petite Indienne, qui emmène Gründ à travers les quartiers les plus charmants de la ville, dépôts d’immondices, égouts, ligne du métro…

Abimaël Green apparaît bientôt comme une sorte de voyant, qui entraînera Gründ dans un parcours initiatique balisé de transes prophétiques et de sommeils hallucinogènes. Mais Green, qui voit ce que d’autres ne peuvent entrevoir, n’est pas très clairvoyant envers son propre passé : « Il y a dans cette histoire un obscur enjeu de mémoire. ». Et cet enjeu de mémoire vaut pour Gründ, à la recherche de sa vie, de son père, autant que pour Green, à la recherche, peut-être, de sa mémoire perdue. Gründ dont le père avait un jour déchargé son revolver en tirant sur les étoiles : « Je n’ai rien fait de ma vie, petit. Fais quelque chose, toi, fais quelque chose… »

Aller plus loin dans le résumé de l’intrigue reviendrait à dévoiler son dénouement, ce qui serait dommage. Gründ parviendra-t-il à faire « quelque chose » de sa vie ? Green retrouvera-t-il son passé ? La fiole de poison servira-t-elle ? Le crime parfait est-il possible ? Qui est le commanditaire de cette disparition et quels sont ses mobiles ? Autant de ressorts d’un polar au fonctionnement parfait qui tient le lecteur en haleine jusqu’aux dernières lignes.

Un roman policier qui déborde cependant de son cadre, comme toujours chez François Emmanuel, et fait de nous aussi des chercheurs d’étoiles, ou des chercheurs d’or, sur la piste des dernières pépites du Tahuantinsuyu qui brillent peut-être tout simplement dans les yeux d’une femme…

Lucien - - 69 ans - 13 avril 2005