En vieillissant les hommes pleurent
de Jean-Luc Seigle

critiqué par Guigomas, le 1 juin 2012
(Valenciennes - 54 ans)


La note:  étoiles
1961
Albert, la cinquantaine, est ouvrier chez Michelin mais sa vraie vie, il la passe dans son lopin de terre hérité de ses aïeux. On est en 1961, c’est l’année du remembrement qu’Albert vit comme une rupture brutale dans une chaîne de transmission couvrant plusieurs générations. Suzanne, sa femme, rêve de rompre avec l’existence campagnarde qui est la sienne, d’acheter un appartement dans un immeuble moderne et tout confort. En attendant, elle fait entrer le formica et la télévision au village. La télé va être installée, c’est l‘évènement du jour ! Ce soir, il y a un reportage sur la vie des soldats en Algérie, elle y verra son fils aîné qui est là-bas. Quant au cadet, Gilles, il lit… et son père en est tout désemparé : qu’est-ce que lui, ouvrier et fils de paysan, pourra-t-il transmettre à ce fils si différent ?

Ce livre est une tragédie classique ; unité de lieu, de temps et d’action, il déroule la journée du 9 juin 1961 jusqu’au drame tôt pressenti. Plein d’émotion et de sensibilité, il s’interroge sur ce que transmettent les pères dans une société qui se transforme, en rupture avec le passé. Comme d’autres romans récents (tel la Grande Intrigue de Taillandier), il questionne la modernité, le passage vers cette société de consommation devant laquelle s’extasie Suzanne. « Je n’aime pas ce qu’il faudrait que je sois, je n’aime pas me réjouir de cette vie –là, je ne suis pas de cette vie, je suis d’un autre temps que je n’ai pas su retenir » dit Albert.
La tragédie de la modernité 7 étoiles

Ce livre est construit comme une tragédie classique, avec un quasi respect des trois règles (unité de temps, unité de lieu, unité d’actions). Mais pas d’affrontement, de grandes tirades, de choc des passions. La tragédie est pudique et intérieure : la souffrance du non-dit, la distance vis-à-vis du conjoint, la gêne devant les enfants qui font des études, la détresse devant un monde qui passe de la ruralité et à l’industrie, de la société traditionnelle et société de consommation...
Ce livre est aussi un hommage à la littérature, qui libère, qui élève, qui nous apprend la vie et qui nous sauve.

Romur - Viroflay - 51 ans - 19 mars 2016


Peut-être un Grand roman sur ceux qui étaient au front sur la ligne Maginot 9 étoiles

Nous partageons une journée de la vie d'Albert Chassaing en juillet 1961.
Etant né à cette époque, je me suis retrouvé plongé dans une histoire que j'ai connu : l'arrivée de la télé, la table en Formica, le goût (souvent immonde) du "moderne", les verres "précieux" en cristal d'Arques, …..
Peut-être est-ce pour cela que ce livre m'a touché; peut-être aussi que Jean-Luc Seigle est capable de tous nous émouvoir avec cette histoire qui me semble bien illustrer cette époque, même si il y aurait aussi tant d'autres choses à dire.
Il y a aussi dans ce livre une défi se illustrée de l'amour de la littérature qui est très réussie.
Le petit supplément "L'Imaginot" en fin de volume développe une thèse intéressante sur les vrais responsables de notre déroute de Juin 40. Là, je n'ai pas d'avis tranché sur cette question.
Mais je m'engage assurément pour approuver ce très bon roman où passe le souffle de l'histoire et où un merveilleux personnage nous est proposé en la personne d'Albert. Les personnages secondaires : son épouse, son fils Gilles, Antoine et les deux émouvantes vieilles veuves sont tout aussi réussis.

Fredericpaul - Chereng - 63 ans - 8 avril 2014


D’une époque à une autre 8 étoiles

Une histoire, celle singulière d’un enfant qui apprend la vie à travers la littérature mais aussi les situations dans lesquelles il est plongé. Mais aussi le récit de la transition d’un monde rural vers la modernité avec cet appétit des années 60 pour les objets qui méritent qu’on sacrifie sa fierté dans un travail à la chaîne pour les posséder. Et aussi l’Histoire réhabilitée de la dernière guerre mondiale qui a amené une défaite du fait du manque de réactivité des états-majors parisiens et la non poursuite de la ligne Maginot au nord avec des vaincus pudiques qui ne parlent pas de leur honte à leurs proches.

Le style est simple, à la fois direct et réservé. Les situations sont émouvantes car les sentiments sous-jacents sont retenus et pourtant d’une étonnante lucidité pour le personnage qui les ressent sans les exposer. Une belle peinture sur la vie et le travail dont les effets se font encore sentir de nos jours.

En 1961, Gilles, qui passe son temps à lire, doit passer l’examen d’entrer en 6e car il fait des fautes d’orthographe. Albert, son père, va demander à un nouveau voisin, instituteur récemment retraité dans ce petit village, de l’aider. Sa femme, qui est une amie de sa sœur et a 13 ans de moins de lui et qu’il voit rajeunir depuis quelques temps, lui a fait accepter un crédit pour acheter un téléviseur car leur fils aîné va passer dans un reportage sur la guerre d’Algérie dans laquelle il a été mobilisé.
IF-0314-4181

Isad - - - ans - 8 mars 2014


"Je ne suis pas de cette vie..." 9 étoiles

Est-ce dû à l'édition disponible (édition A vue d''oeil en très gros caractères), mais j'ai eu du mal à entrer dans ce roman, à ressentir de l'empathie pour la vie de cet homme solitaire pourtant entouré de sa femme, de sa mère et de son fils.
Mais tout doucement, Jean-Luc Seigle permet à l'émotion de s'installer.
De comprendre cet homme juste, de mesurer l'amour qu'il porte aux siens et qu'il ne dit pas.
Cet homme qui se sent dépassé par ses sentiments, par son attachement à son histoire, à ses racines et aux traces laissées par le passage des hommes, et dont le destin est mêlé aussi à l'Histoire, Histoire dont il a vécu une partie tue elle aussi.
(L'auteur nous éclairera dans le dernier chapitre).
"Comment ses fils sauront-ils que leur vie est meilleure si l'on efface toutes les traces d'avant ?"
Et avec la pleine conscience de son inadéquation au monde moderne : "Je ne suis pas de cette vie, je suis d'un autre temps que je n'ai pas su retenir."

Très touchée aussi par cet hymne magnifique à la littérature
"Il eut, dans le même temps, le pressentiment, que la vie, comme les livres, était une source infinie de rebondissements, d'imprévus, de choses secrètes enterrées sous les mots, que rien n'était immuable et que tout se transformait sans cesse."

Un portrait magnifique et bouleversant d'un homme dont les actes débordent d'amour mais en silence et en toute discrétion, humble et pudique.

Marvic - Normandie - 66 ans - 13 février 2014


Ah, les souvenirs... 8 étoiles

Nous sommes en 1961 à Assys, petit village d’Auvergne. L’histoire se déroule en l’espace d’une journée et raconte celle d’Albert Chassaing, 50 ans - fermier attaché aux souvenirs et aux choses rustiques - et de son idée d’en finir avec la vie parce qu’il a un passé devenu trop douloureux. Mais avant, avec bonhomie, il veut s’assurer que son entourage se porte bien : sa mère Madeleine qui perd la tête, sa femme Suzanne, la trentaine qui souhaite tout moderniser et écrit moult lettres à leur fils Henri parti à la guerre d’Algérie ; Gilles, 11 ans le petit frère bibliophile et du coup pas comme les autres ; Paul Marsan, le facteur qui fait du gringue à Suzanne ; Monsieur Antoine le voisin prof retraité ; Liliane, la sœur d’Albert venue en visite…
Tout ce beau monde se réunit un soir autour de la télé que les Chassaing viennent d’acheter pour regarder un reportage sur la guerre en Algérie et voir Henri apparaître à l’écran. Un événement qui va les bouleverser. Au cours de cette journée, Albert ressent une sensibilité nouvelle qui nous touche nous aussi, lecteurs, très bien traduite ici : « Les mots étaient enfermés dans sa tête et ne glissaient que très rarement jusqu’à sa bouche. Ce soir, ils sortaient abondamment de ses yeux. Jamais il n’avait autant aimé pleurer que cette nuit-là… »
Ce livre se lit très facilement et décrit de façon admirable le quotidien d’une famille, de leurs relations et de leurs émotions autour de phrases simples, en soulignant la transmission entre les générations et le poids des souvenirs.

Psychééé - - 36 ans - 10 février 2014


Pas seulement qu'en vieillissant... 10 étoiles

On ne sort pas indemne de ce livre ...on ne le peut pas , on ne le doit pas ..
Dés le début nous comprenons qu'il y aura un drame , Albert ouvrier chez Michelin fait le point sur sa vie , drôle d'enfance drôle de mariage drôle de père mais tout cela bien sûr ne l'est pas.
Son fils ainé fait la guerre en Algérie , ce fils dont il s'est si peu occupé puisqu'il est né alors qu'Albert était prisonnier de guerre.
Ce soir c'est l'évènement , son régiment fait l'objet d'un reportage dans "5 colonnes à la une" et pour fêter cela sa mère a acheté à crédit un poste de télévision et a revêtu pour l'occasion sa plus belle toilette.

Ce texte est un vibrant hommage à la France rurale et au monde ouvrier , fier d'être ce qu'ils sont et de ce qu'ils représentent.
Ce livre réhabilite aussi les combattants de la guerre 39-45 (que ma grand mère appelait 39-40) que l'on traite souvent comme des perdants à l'opposé des héros de 14 ou des courageux de l'Algérie.
Poignant...un très beau livre!
Septularisen et Saule vos critiques (et quelques messages sur le forum) m'ont emmené vers ce livre soyez-en ici remerciés.

Ndeprez - - 48 ans - 25 novembre 2013


la révolution des années 60 9 étoiles

Il est un fait qu’en vieillissant, chez l’homme, des larmes d’attendrissement perlent plus facilement au coin des yeux. Des larmes de joies mais aussi des larmes de peine.
Jean-Luc Seigle signe ici son troisième roman. Il a écrit de nombreux scénarios de téléfilms. Pour le cinéma, il a collaboré au scénario de Les convoyeurs attendent, un film de Benoît Mariage avec comme vedette Benoît Poelvoorde. Avec ce présent roman, il a obtenu le grand prix RTL-lire 2012.
Nous sommes en 1961, Albert a des pensées sombres. Et pourtant, il a tout pour être heureux : une femme, deux enfants, une sœur qu’il adore, un travail à l’usine Michelin à Clermont-Ferrand, et ses loisirs ? le travail de la vigne, l’entretien d’une petite ferme, l’horlogerie et l’accordéon ! Mais dans les années 60 tout bascule : il ne s’y fait pas à ce monde moderne : télévision, machine à laver, le remembrement des terres alors que Suzanne, sa femme, y plonge avec délectation en rejetant le passé. Le passé d’Albert est lourd ; soldat sur la ligne Maginot, il a subi la défaite et les 5 années de déportation. De plus, en 1961, son fils aîné, Henri, promis à un brillant avenir fait son service militaire en Algérie où c’est la guerre, son cadet, Gilles, se complaît davantage dans la lecture des romans qu’il ne se soucie de l’orthographe ! Sa passion du moment Eugénie Grandet.
En de phrases simples, l’auteur fait revivre au lecteur les « golden sixties » qui pour certains n’étaient pas si enthousiasmantes ! Jean-Luc Seigle revisite l’histoire militaire, des fortifications de Vauban à la ligne Maginot en passant par la boucherie de la « der des der ».

Ddh - Mouscron - 83 ans - 27 juillet 2013


CHRONIQUE DU TEMPS QUI PASSE 10 étoiles

Je ne reviendrai pas sur l’histoire d’Albert cet ouvrier de Michelin trop et trop tôt usé par la vie, et que nous suivons pendant une journée chez lui dans sa fermette près de Clermont-Ferrand, avec sa famille en 1961 en pleine guerre d’Algérie.

Albert est l’archétype du paysan et de l’homme luttant contre le progrès et le temps qui passe et qui finit par être complétement enseveli par celui-ci, totalement dépassé par les évènements et le un monde en perpétuel changement…Il est l'archétype du paysan dont, contrairement à ses aïeux, sa terre ne suffit plus à nourrir sa famille, et qui est obligé de "compléter" ses revenus et travaillant à l'usine 8 heures par jour pour avoir une paye régulière qui tombe à la fin du mois...
Mais pour lui tout cela n’a pas grande importance, et ce à quoi il pense c’est surtout ce qu’il va léguer et transmettre à son fils…

Je voudrais surtout dire un mot sur le livre même de M. Jean-Luc SEIGLE, qui est d’une force et d’une originalité comme j’en ai rarement lu. Il m’est toutefois très difficile de parler d’un livre comme celui-ci, tant je redoute de ne pouvoir lui rendre justice, et de ne pas en parler à sa juste valeur...
C’est un livre tout en émotions et en pudeur, et qui touche le lecteur par une puissance narratrice hors du commun. Franchement, une œuvre de toute beauté. Le style de l’auteur est simple, direct et pénétrant, bien plus complexe que l’on pourrait le croire à première vue. L’écriture est, elle, pure, sobre, sans fioritures, sans superflu. C’est une écriture qui n’est pas, par certains côtés, sans rappeler celle d’Albert CAMUS ou de Maurice GENEVOIX.

Je voudrais aussi dire aux lecteurs de surtout ne pas oublier de lire la deuxième partie de ce livre, intitulée «L’imaginot ou Essai sur un rêve du béton armé » qui est en quelques sorte la suite du livre et qui nous raconte ce qu’est devenu Gilles le plus jeune fils d’Albert. Et qui bien que se présentant de manière et de style totalement différents, avec notamment des passages très «moralisateurs», est également tout aussi originale que la première partie.

Mais surtout je voudrais dire que ce livre est beau, mais beau… Sans doute un des plus beaux que j’ai lu ces dernières années, malgré un thème des plus simples, et une histoire somme toute tragique. Un livre unique, précieux, une lecture dont on ressort changé, littéralement sonné !...

A noter que ce livre à été lauréat du Prix RTL-Lire 2012.

Septularisen - - - ans - 17 juillet 2013


La fin d'une époque 8 étoiles

Nous sommes en 1961, les campagnes se vident et les cités ouvrières modernes sont le nouvel habitat des travailleurs. Albert, ouvrier chez Michelin, se réveille au matin d'une chaude journée d'été en ayant le pressentiment de finir quelque chose. Il décide d'ailleurs de scier le cerisier planté par son grand-père dans le jardin, il a l'intuition que cet arbre a trop donné et qu'il est prêt à mourir. Ce qui est une terrible métaphore de sa propre situation en fait, on le sent dès le début du roman.

Ce roman très beau et pudique touche à de nombreux thèmes et en particulier celui de la transmission entre les générations et le drame pour le père lorsqu'un monde prend fin et que cette transmission n'est pas possible. Il est question aussi de la mort du paysannat et du passage à la société de consommation moderne, ainsi que de la drôle de guerre en mai 1940 source d'humiliation et de ridicule pour les soldats qui sont revenus de captivité cinq ans après la défaite.

Un roman habilement construit, sobre et pudique, sur une époque pas tellement lointaine mais tout à fait révolue, un beau témoignage sur la paternité et la transmission des valeurs, sur la dignité de la vie humaine.

Saule - Bruxelles - 59 ans - 25 août 2012