Demain
de Joseph Conrad

critiqué par Tistou, le 16 mai 2012
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Ca pourrait être du Loti …
Justement, cette nouvelle ça pourrait être du Pierre Loti. Il y a du « Pêcheur d’Islande » dans ce « pour demain ». Non pas pour la partie maritime de « Pêcheur d’Islande » mais pour la partie sentimentale. Affreusement triste et coupant tout espoir d’espoir à la fin. C’est de la triste situation des femmes dévouées à un mari, ou un père ici qu’il est question.
Bessie Carvil, qualifiée de « grande jeune fille » par Joseph Conrad est comme « l’esclave » de son père, mécanicien de la marine retraité aveugle, qui tyrannise sa fille. Bessie et son père sont locataires d’une des deux maisons mitoyennes du capitaine Hagberd. Lui-même retraité de la marine, qui a perdu sa femme en même temps qu’il arrêtait l’activité et dont le fils, Harry, est parti de la maison à seize ans pour fuir la tutelle paternelle.
La situation a un peu tourné la tête du capitaine Hagberd. Il a eu vent il y a quelques années que son fils aurait été vu dans le petit port de Colebrook et il est venu s’y installer, persuadé qu’ainsi il le retrouverait. Marginal, soumis à son idée fixe que son fils va débarquer à Colebrook, il n’a de contacts avec personne d’autre que Bessie, la jeune voisine. Elle-même, n’ayant d’autre contact qu’avec son père tyrannique. De leurs discussions naît l’idée saugrenue dans la tête du capitaine Hagberd que non seulement son fils va venir le retrouver mais qu’il épousera Bessie …
Elle, sans perspectives, écoute ces beaux discours et l’idée, peu à peu, s’enracine en elle. La suite est d’une tristesse poignante. Le genre d’histoire qu’on aimait bien au tournant des années 1800 – 1900.

« A Bessie Carvil il disait plus explicitement : « Pas avant l’arrivée de notre Harry, demain. » Et elle avait si souvent entendu cette formule d’espoir que le terme n’éveillait plus dans son cœur qu’une vague pitié pour ce vieillard confiant.
Tout était ainsi remis et tout était également préparé pour le lendemain. Il y avait une boîte pleine de graines à choisir pour le jardin. « Il vous laissera certainement dire votre mot à ce sujet, ma chère Bessie », lui confiait à travers la grille le capitaine Hagberd.
Miss Bessie restait le front penché sur son ouvrage. Elle avait entendu tout cela tant de fois. De temps à autre, elle se levait, posait l’ouvrage et s’approchait lentement de la grille. Les douces divagations du vieillard n’étaient pas sans charme. Il était bien résolu à ce que son fils ne repartit pas, faute d’un foyer tout prêt pour lui. Il avait rempli son pavillon de toutes sortes de meubles. Miss Bessie les imaginait tout neufs, fraîchement vernis, empilés, comme dans un garde-meubles … »