Les villes tentaculaires
de Émile Verhaeren

critiqué par Pucksimberg, le 13 mai 2012
(Toulon - 44 ans)


La note:  étoiles
La ville en poésie
Quel titre expressif ! « Les Villes tentaculaires » ! Des villes animalisées qui se développent, envahissent la campagne et se propagent … Emile Verhaeren a rédigé un recueil de poésie moderne qui fait écho à un autre recueil « Les campagnes hallucinées ».

Les métropoles grossissent, vident les campagnes, c’est la révolution industrielle, l’expansion coloniale et la ville monstrueuse ne peut engendrer qu’une population souvent à son image.

Le début du recueil témoigne d’un monde qui agonise : les campagnes sont esseulées et la religion ne parvient plus à rassurer les hommes. L’argent devient la nouvelle religion et la bourse devient une nouvelle cathédrale dans le poème « La Bourse ». Les bourgeois sont fascinés par les magasins dans « Le bazar », ne pensent qu’à dépenser, fréquentent les prostituées dans « Les promeneuses », les ouvriers travaillent dur et sont dévorés par le machines. Cet univers presque apocalyptique est sous l’emprise d’une divinité macabre dans « La Mort » qui trône telle une déesse païenne. Mais Verhaeren, quelque peu angoissé par ce monde moderne, reste aussi fasciné et accorde un certain intérêt au progrès. La science et le savoir permettent d’élever l’homme et de le sauver. Les poèmes ultimes sont plus optimistes, comme cela est perceptible dans « Les Idées », « La Recherche » et « Vers le futur ».

J’ai aimé particulièrement le verbe de Verhaeren, la liberté qu’il prend par rapport aux règles classiques, la violence parfois de ses images et sa capacité à atteindre une vérité qui nous dépasse. Le monde qu’il décrivait pourrait être tout à fait le nôtre. Les êtres sont déshumanisés et le monde spirituel affecté par la modernité.

« La Bourse » :

« Comme un torse de pierre et de métal debout
Le monument de l’or dans les ténèbres bout. »

« Les cathédrales » :

« - O ces foules, ces foules,
Et la misère et la détresse qui les foulent ! »

« Les Promeneuses » :

« J’en sais dont les robes funèbres
Voilent de pâles souliers d’or
Et dont un serpent d’argent mord
Les longues tresses des ténèbres. »
L'asservissement des Temps modernes 8 étoiles

Les Temps modernes de Charlie Chaplin détiennent leur corollaire poétique avec ce recueil, tant lucide qu'acerbe et sarcastique. Je souscris à la présentation, fort pertinente, de la critique principale. Cette série de textes courts en vers décrit une réalité, dans ce qu'elle a de sombre et d'asservissant. Elle mérite de décrire le phénomène économique et social marquant du tournant des XIXème et XXème siècle, suite à la seconde Révolution industrielle. La montée en puissance des services a certes changé la donne.
Ce recueil constitue la suite logique de celui intitulé Les Campagnes hallucinées, décrivant la désertification rurale et les paysages fantasmagoriques de la ruralité délaissée.

Fort bien écrite, cette oeuvre s'avère utile, tant dans la forme que dans le fond, même si elle reste fort sombre.

Veneziano - Paris - 46 ans - 15 août 2017