La douleur
de Marguerite Duras

critiqué par Jules, le 11 janvier 2001
(Bruxelles - 79 ans)


La note:  étoiles
Unique de ce genre
Dans « la Douleur », Marguerite Duras décrit la situation atroce dans laquelle elle s'est trouvée à la Libération.
Comme beaucoup de personnes, hommes ou femmes, elle a été chaque jour attendre, à la gare d'Orsay, les convois de prisonniers rentrant d’Allemagne. Chaque jour l'espoir est là à l'annonce d'un train venant de là-bas. Chaque jour voir des débris humains, des ombres d’hommes débarquer.
Mais aussi des hommes un peu plus valides, happés par leurs proches pleurants, riants, alors qu'elle ne trouvait pas Robert L. Et à chaque convoi, à la fin de chaque jour, l'espoir diminue un peu. Et puis, il y a les bruits qui courent sur ce qu'étaient les camps !. L’espoir diminue encore d’autant !.Je ne citerai pas ces phrases extraordinaires sur le plan des sentiments, mais aussi de l'écriture. J'en serais gêné !… C'est de la littérature ?. Dans la forme, c'est indiscutable, et de la toute grande !
Mais, quant au fond ?… Je n’oserais pas réduire ces phrases à de la littérature !… C'est l'expression de la plus grande douleur de l'être humain devant l’horreur et l'attente. Lisez-le, je ne peux en dire plus !…
Dans la seconde partie, " Monsieur X dit Pierre Rabier ", Marguerite Duras décrit les rapports qu’elle a été amenée à avoir, alors qu’elle est résistante, avec le responsable de la Gestapo qui a arrêté Robert L. Les jeux dangereux que cela représentait, les tentations de l’abattre, la frustration de ne pouvoir lui dire ses vérités. Rabier est un nom qu'elle a choisi pour ne pas accentuer la honte de sa femme et de son enfant. Rabier est un traître français qui arrêtait et interrogeait des résistants et des juifs. En 45 elle devra témoigner à son procès et il sera fusillé. Elle dit " Les Allemands faisaient peur comme les Huns, les loups, les criminels, mais surtout les psychotiques du crime. Je n’ai jamais trouvé comment le dire, comment raconter à ceux qui n’ont pas vécu cette époque-là, la sorte de peur que c'était ".
" Albert des Capitales " est l’histoire d'un donneur et c'est à elle qu'il revient de l'interroger. Pour l’interrogatoire on le fait se déshabiller, on le frappe, il pleure, gémit, transpire… Ils continuent à frapper, plus fort, plus juste. Des femmes préfèrent quitter, elle reste !. C’est elle qui lui fera avouer qu’il faisait partie de la police secrète allemande.
Dans " Ter le milicien " elle nous décrit l'exécution de membres de la Gestapo par des Espagnols : une balle dans la nuque.Ter, un milicien français, est là par terre et a vu passer la civière avec le cadavre et a entendu le coup de feu de l'Espagnol. Ter demande du papier pour écrire, mais on lui dit qu'il ne sera pas exécuté. Ter attend. Duras nous fait comprendre que ce genre de garçon, pas bien intelligent, impressionnables, auraient tout aussi bien pu basculer du côté de la résistance que du côté de la collaboration… Ter avait fait le mauvais choix et voilà… Ter n'envisage même pas de se défendre : il croit en la justice, il sait qu'il sera fusillé. " Ter était sans orgueil, rien dans la tête, rien que de l'enfance ". Elle n'a pas connu le sort final de Ter, mais elle dit que si jamais il avait survécu, il serait du côté " de la société où l’argent est facile, où l’idée est courte, où la mystique du chef tient lieu d'idéologie et justifie le crime. "
" Aurélia Paris " est un texte dédié à une petite fille juive abandonnée. Duras avait l’idée d'en faire une pièce, mais cela ne s’est pas fait.
"La douleur est une des choses les plus importantes de ma vie." 10 étoiles

Je dirais qu'en ôtant "les descriptions ternes", je rejoins la critique de Veneziano. Le premier récit est poignant, on est comme...plongé dans le deuil.
Que l'on se trouve dans l'œil de celle qui attend le retour de l'aimé, de la résistante, de la tortionnaire ou de la petite juive, c'est ce même sentiment de peur, d'attente et de terreur qui nous traverse.

Je mets un paragraphe qui m'a vraiment frappé à la lecture et qui se répercute encore dans ma tête:

"Nous sommes de ce côté du monde où les morts s'entassent dans un inextricable charnier. C'est en Europe que ça se passe. C'est là que l'on brûle des juifs, des millions. C'est là aussi qu'on les pleure. (...) Nous appartenons à l'Europe, c'est là que ça se passe, en Europe, que nous sommes enfermés ensemble face au reste du monde. Autour, les mêmes océans, les mêmes invasions, les mêmes guerres. Nous sommes de la race de ceux qui sont brûlés dans les crématoires de Maïdenek, nous sommes aussi de la race des nazis. Fonction égalitaire des crématoires de Buchenwald, de la faim, des fosses communes de Bergen-Belsen, dans cette fosse nous avons notre part, ces squelettes si extraordinairement identiques, ce sont ceux d'une famille européenne. Ce n'est pas dans une île de la Sonde, ni dans une contrée du Pacifique que ces événements ont eu lieu, c'est sur notre terre, celle de l'Europe. Les quatre cent mille squelettes des communistes allemands qui sont morts à Dora de 1933 à 1938 sont aussi dans la grande fosse commune européenne avec les millions de juifs et la pensée de Dieu, avec à chaque juif, la pensée de Dieu, chaque juif." (p.61)

Smokey - Zone 51, Lille - 38 ans - 2 mai 2009


L'amertume de l'espoir et de la liberté 9 étoiles

Peu de choses restent à rajouter, si ce n'est mon ressenti : ce livre est poignant, vous saisit au plus profond, vous fait vibrer, malgré quelques descriptions un peu ternes. Le thème s'avère porteur, le suspense est bien alimenté. Costa Gavras aurait pu l'adapter.
Un grand moment de littérature.

Veneziano - Paris - 46 ans - 27 juillet 2007


La pire des douleurs expliquée 10 étoiles

Je sors la tête de ce livre, et je me dis enfin j'ai compris ce qu'on a tant tenté de nous expliquer durant notre scolarité...J'ai compris l'atrocité vécu par nos grands parents,du moins je l'ai entre aperçu. Maguerite Duras a trouvé les mots qui font mal et qui nous explique cette douleur, la pire des douleurs, celle de la guerre ! L'attente de l'être aimée, la quête de vengeance qui n'apporte rien, la naiveté des jeunes à la guerre et la peur d'une petite fille qui n'a rien demandé mais qui n'a plus le droit d'être sur terre.

Soleada - - 35 ans - 18 juin 2007


"« Je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit.» M.Duras 9 étoiles

« Je n’ai aucun souvenir de l’avoir écrit.».
Il faut garder en tête cette phrase de Marguerite Duras à propos de La Douleur (écrit en 1945, publié en 1985), pour réaliser l’ampleur de … cette « chose » (pour reprendre l’auteur) car aucun autre mot ne correspond…
Face à ces propos, le lecteur sait qu’il se trouve devant quelque chose de hors du commun, une sorte de littérature malgré elle…
Ce qui m’a frappé (après, bien sûr, le trop-plein d’émotions) en achevant « cette chose » donc, c’est ce Style : réellement magnifique, sec, brut, et qui pourtant, n’est pas autre chose que des mots écrits les uns après les autres par une main tremblante par l’attente, la fatigue et la faiblesse. Et c’est ce style qui fait de ce témoignage, de ce journal, quelque chose de sur dimensionnel, de surhumain :
« On existe plus à coté de cette attente. Il passe plus d’images dans notre tête qu’il y en a sur les routes d’Allemagne. Des rafales de mitraillette à chaque minute à l’intérieur de la tête. Et on dure, elles ne tuent pas. Fusillé en cours de route. Mort le ventre vide. Sa faim tourne dans la tête pareil à un vautour. (…)Ca ne s’appelle plus penser ça, tout est suspendu. » p43.
Certes, M. Duras était déjà ‘dans l’écriture’ (elle a déjà publié « Les Impudents « et « La vie Tranquille » ) , mais pendant ce mois d’avril 1945, elle semble ne pas en avoir la moindre conscience, prise par la fièvre…

Mais au delà de la forme, bien sûr, il y a le fond…
Que dire ?
Ceci est la vérité pure- mais loin d’être claire- des émotions d’une femme, une résistante aussi, qui attend son mari, arrêté, puis déporté aux camps- mais de cela elle n’en n’est pas sure- pendant des mois et des mois. Et le retour de celui-ci.
« Mon front contre la vitre c’est bon. Je ne peux plus porter ma tête. Mes jambes et mes bras sont lourds, mais moins lourds que ma tête. Ce n’est plus une tête, mais un abcès. La vitre est fraîche. Dans une heure, D sera la. S’il revenait nous irions à la mer, c’est ce qui lui ferait le plus plaisir. Je crois que de toute façon je vais mourir. S’il revient je mourrai aussi. S’il sonnait : « - Qui est la. – Moi, Robert L. », tout ce que je pourrais faire c’est ouvrir et puis mourir. S’il revient nous irons à la mer. » p36.

C’est brut, cru, révoltant. Touchant, tel un poignard dans les tripes. On pleure, on ne sait même pas quand, à partir de quel passage, les larmes se sont mises à couler.
Ce n’est pas de la littérature. Si cela en avait été, « La Douleur » aurait été un chef d’œuvre.
Mais il est bien plus que ça, incomparable, inclassable.


« « La douleur » est une des choses les plus importantes de ma vie. Le mot ‘écrit’ ne conviendrait pas. Je me suis trouvée devant des pages régulièrement pleines d’une petite écriture extraordinairement régulière et calme. Je me suis trouvée devant un désordre phénoménal de la pensée et du sentiment auquel je n’ai pas osé toucher et au regard de quoi la littérature m’a fait honte. » Marguerite Duras.

Lig - Gouesnac'h - 40 ans - 30 juin 2006