Et au pire on se mariera
de Sophie Bienvenu

critiqué par Libris québécis, le 11 mai 2012
(Montréal - 82 ans)


La note:  étoiles
Ado cherche père désespérément
Quand une élève demande tout naturellement à son enseignant d’aller se rincer la bouche parce qu’elle vient de faire une fellation dans le portique de l’église voisine immédiate de l’école Pierre-Dupuy du quartier Hochelaga de Montréal, il comprend aisément le désarroi des adolescents assis devant lui. L’anecdote, véridique, donne l’atmosphère dans laquelle a baigné Aïcha Saint-Pierre qui, certes, fréquente cette école parce qu’elle habite le centre-sud mal famé avec une mère vivant au rythme d’amants, tel Hakim, sans qu’elle leur donne le temps de prendre racine.

Pourtant la petite héroïne adorait ce dernier. Collée sur lui en bobette (sous-vêtement), elle a fait rejouer Scarface ad nauseam parce que ça meurt pas mal dans ce film-là. Elle n’ambitionne pas d’être le chef de quoi que ce soit comme le petit truand Tony Montana. Elle aspire tout simplement à être aimée par un homme adulte. De sa tête fuckée (perturbée) émergent tous les moyens possibles pour attirer l’attention de ceux qui auraient l’âge de son père, évincé dès sa naissance. Quête filiale tellement intense qu’elle se mue en quête amoureuse pour son plus grand malheur. L’auteure ne remonte malheureusement pas à l’amont de sa chute abyssale.

Quoi qu’il en soit, Aïcha est une adolescente en crisse (révoltée), qui porte, comme un poids, l’absence paternelle. Et pourtant, sa génitrice est une femme responsable même si elle l’accuse d’occuper son temps à « piou-piouter » au téléphone. Partagée entre son métier d’infirmière et la maison, elle protège Aïcha du mieux qu’elle peut, voire en chassant Hakim, qui se serait comporté en pédophile. Son départ engendre une haine incommensurable envers une mère, qui la prive d’avoir au moins un père de substitution. Elle se rabat alors sur Sébastien, âgé du double de son âge. Par empathie pour elle, Bas, comme elle le surnomme, accepte qu’elle vienne à son appartement. Il n’entretient pas à son égard une flamme qui ne demande qu’à consumer le fruit défendu. Il l’invite plutôt à fréquenter les gens de son âge. Comme elle ne compte que deux amis travestis pour satisfaire la déviance des bien-pensants, elle s’accroche désespérément à cet homme, déjà engagé dans une relation. Il n’en faut pas plus pour que sa haine s’accroisse dangereusement pour tous et chacun. En résumé, il y a une pointe de Bovary là-dessous. C’est la tragédie de l'amour interdit.

Le récit de ce dérèglement risque d’en choquer plusieurs. Le langage vernaculaire utilisé pour coller à la réalité du centre-ville révoltera ceux qui ne peuvent voir le monde que sous sa couche de vernis. Se sentent-ils mal à l’aise quand on aborde la sexualité chez les enfants et les adolescents ? Il faut dire que l’approche trash ne favorise pas les rapprochements avec ce lectorat. En décrivant aussi crûment une réalité que beaucoup de Montréalais ne soupçonnent même pas s’ils ne fréquentent le centre-ville que pour les spectacles, l’auteure risquait autant qu’une flambeuse, surtout en misant sur une narration au je d’une confession à un inconnu qui n’intervient que du regard. Mais le ton sauve la game (le pari).

Le roman, qui manque d’achèvement, saura séduire par contre les habitués de cet univers. Sophie Bienvenu lance, en fait, un cri de désespoir pour souligner les problèmes criants vécus au sein de cette population, à laquelle d’ailleurs les auteurs commencent à s’intéresser. Bref, cette jeune auteure française installée au Québec a vite fait de connaître la poutine [frites, sauce brune et fromage en crottes (grains)]