Dans la bibliographie consacrée à Gustav Mahler, cet ouvrage vient tardivement et possède un contenu et des proportions comparables au texte que Marc Vignal avait signé il y a déjà des décennies et qui fut pionnier en France avant les travaux de Jean Matter et d'Henry-Louis de La Grange. Il a certainement le mérite de la clarté, par sa concision, en nous offrant une sorte de synthèse et en répondant aux exigences de la collection, qui se propose de faire le point sur un sujet ou un personnage donné.
Le sous-titre de Symphonie-monde ne peut pas manquer de nous faire penser à l'ambitieuse troisième symphonie, qui se voulait comme un récit "musical" de la création et un hymne à la créature reine, l'humain, et à son Créateur dont on ne sait s'il est ressemblant au Père éternel peint sous les voûtes de la Chapelle Sixtine ou s'il est le Dieu immanent décrit par Spinoza, ou bien un mixte des deux. Et la symphonie-monde, c'est aussi l'ensemble de la création symphonique de Mahler si bien analysée dans ses aspects sociaux et philosophiques par T.W. Adorno.
Mahler a donc participé au renouveau artistique viennois, et son travail de chef d'orchestre, de directeur d'opéra et de compositeur, diversement apprécié de son temps, l'a amené à côtoyer des gens comme Johannes Brahms, Hugo Wolf, Anton Bruckner, Alexander von Zemlinsky, Alban Berg, Arnold Schoenberg, Richard Strauss ou le très contestable Hans Pfitzner. Sa collaboration avec Alfred Roller a laissé quelques traces car nous savons, par ce dernier, ce que furent les décors de plusieurs des grandes œuvres de l'art lyrique qu'il aima à donner et l'idée qu'il pouvait se faire de chacune d'elles, car les dessins et peintures rendent en partie l'atmosphère qui devait régner pendant les représentations, Mahler ayant un respect total pour les artistes et leur production, en interdisant que l'on se déplaçât ou que l'on s'exprimât bruyamment pendant l'exécution des œuvres. C'est l'autre Mahler, non le compositeur, mais le chef d'orchestre et le directeur d'opéra qui a marqué son temps, tandis que le temps du créateur de symphonies et de lieder est venu plus tard, à titre posthume.
Aujourd'hui, c'est ce dernier qui s'impose à nous, et sa force nous tous conquis. Son temps est venu. Pour notre plus grand plaisir.
Contrairement à ce que l'on croit souvent, ce n'est pas une œuvre cérébrale comme l'est celle de Schoenberg, c'est plutôt une œuvre descriptive et évocatrice de sentiments, d'impressions, d'expériences diverses, sur un arrière-plan très autrichien, très bohémien, à la fois très classique et très moderniste. Mahler est l'homme des charnières, des transitions, des legs culturels, mais aussi celui des déracinements et des ruptures. Mahler avait raison de dire qu'il était plusieurs fois apatride. Et ses intérêts vont loin puisqu'il ira jusqu'à diriger vers la fin des orchestres sur la côte est des États-Unis, dans ce Nouveau Monde qui attirait son compatriote Antonin Dvorak, et jusqu'à puiser dans la vieille poésie chinoise pour composer son magnifique et inoubliable Chant de la Terre. Il y a un "ailleurs" chez Mahler, en même temps qu'un "ici et maintenant". Et l'ensemble est comme la clé de voûte de la grande création symphonique germanique, derrière les Mozart, Haydn, Bethoveen, Mendelssohn, Schumann, Brahms et Bruckner, avec des accents post-wagnériens. C'est l'un des maîtres du post-romantisme, et son œuvre nous en apprend beaucoup sur l'homme et le génie que fut Gustav Mahler (1860-1911). L'ouvrage de Christian Wasselin est désormais partie intégrante de la bibliographie consacrée à Mahler en France et y apparaît en bonne place, parce qu'il mérite de retenir l'attention du public le plus large.
Mais nous ne saurions trop recommander au lecteur de se comporter avant tout en mélomane, car la chose la plus importante ici est d'écouter l'œuvre de Mahler, que tous les orchestres et que tous les grands chefs nous invitent à entendre, chacun nous la rendant sous des couleurs et des aspects différents.
L'ouvrage de Wasselin est d'ailleurs riche d'un renvoi à quelques-uns des meilleurs enregistrements des symphonies et lieder.
Et l'on entend, disant cela,résonner à nos oreilles quelques fanfares et quelques mélodies devenues plus que familières à nos oreilles.
François Sarindar
Francois Sarindar - - 67 ans - 15 juin 2013 |