L'hiver, cette année-là
de Mun-Yol Yi

critiqué par Montréalaise, le 16 avril 2012
( - 31 ans)


La note:  étoiles
« Le désespoir est la plus pure et la plus puissante des passions humaines.»
« L'hivers, cette année-là » est l'une des oeuvres les plus célèbres de l'auteur sud-coréen Yi Munyol. Prenant la forme d'un court récit d'initiation presque autobiographique, elle nous découvre le vagabondage du narrateur, le jeune étudiant Yonghun, dans les solitudes glacées de la Corée du Sud, alors en pleine explosion économique mais soumise aussi à une dictature corrompue.

On ne connait pas réellement les raisons de son errance solitaire (peut-être motivée par le goût universel qu'ont les jeunes pour l'aventure), mais plus on progresse, plus on découvre, au gré de ses rencontres avec de malheureuses existences, une volonté à demi-dissimulée de suicide. Son pèlerinage vers la mer deviendra un chemin de croix embellie par la puissante beauté des paysages naturels que le narrateur transcrit dans son journal intime. Ce chemin sera aussi celui d'une douce réflexion philosophique sur Heidegger, sur le vide angoissant de l'existence ainsi que sur son alter-ego, la mort que Yonghun recherche pour échapper à la froideur de ce monde.

De son travail subalterne dans une auberge de campagne transformée en maison close pour fonctionnaires douteux, jusqu'aux majestueuses et si glaciales montagnes littorales peuplées de solitudes flirtant comme lui avec cette « mort » si obsédante, le jeune homme tentera de trouver une réponse à sa question. Sa rencontre avec un vieil aiguiseur de couteaux au passé révolutionnaire trouble n'est pas sans rappeler la souffrance que subissait Yi Munyol de la société qui ne voyait en lui que le fils d'un communiste l'ayant abandonné en bas âge pour rejoindre la Corée du Nord.

Ce récit court, facile à lire, peut être un bon début pour ceux qui s'intéressent à la littérature coréenne contemporaine.
Le désespoir: une étape initiatique sur le chemin de la vie 6 étoiles

"L'hiver, cette année-là" comme en rend très bien compte la critique principale, relate donc un épisode de vie correspondant à une phase négative qu'il n'est pas rare de traverser à l'âge de la jeunesse où, au seuil de la vie adulte, confrontés au doute quant au sens de l'existence, on s'interroge sur l'intérêt de celle-ci.

Yonghun, en phase dépressive, espère trouver au bout de son périple, réponse à son interrogation: "jeter au loin la coupe amère ou au contraire la vider avec persévérance".
La perspective du suicide ne semble s'imposer à lui que comme une perspective possible à laquelle il tente de croire tout en se mentant quelque part.
On retrouve en lui les états d'âme des jeunes héros romantiques habités déjà par un désenchantement sans véritable cause qui réunit tous les ingrédients du fameux désespoir romantique: instabilité émotionnelle qui le fait passer de l'excitation devant l'inconnu à la mélancolie, complaisance à l'autodestruction (son errance sera très alcoolisée entre autres), fascination morbide, aspiration vers la beauté (ici très présente dans la nature) comme valeur ultime.

La relation de son vagabondage nous est livrée avec le décalage du regard de l'adulte qu'il est devenu, un regard qui permet à la fois l'analyse et projette sur son comportement un jugement souvent sans concession. C'est cette distance qui met en lumière à la fois l'inauthenticité de ce désespoir et fait ressortir les traits irritants du personnage, vanité et tendance à la théâtralisation, souvent propres à la jeunesse, qui ne craignent pas de s'exprimer dans une phraséologie prêtant à sourire:"L'idéologie m'a trahi, la beauté m'a rejeté et les livres ne m'ont rien apporté". Je dois avouer que ces aspects m'ont parfois agacée même s'ils sont le reflet de ce que nous avons tous plus ou moins été probablement à cet âge.

Au final, comme le personnage de l'aiguiseur, l'ancien prisonnier politique victime de la dictature, qui aura nourri pendant des années le projet de se venger de son donneur, Yonghun, à l'issue de l'épreuve vécue au risque de sa vie dans l'hiver boréal coréen, au terme de ses rencontres dont celle ultime avec la mer tueuse, finira par prendre conscience de son désir de vie et de l'inanité de son " jeu si grave".

"Nous(...)devons continuer à vivre.(...)Quand un être humain renonce à préserver son intégrité, il cesse d'être un humain. La coupe que chacun a reçue en partage doit, quoiqu'il en coûte être vidée jusqu'à la dernière goutte. Le désespoir n'est pas la fin, mais le début de l'existence..."

PS: Ce récit a été regroupé avec "Notre héros défiguré" et "L'oiseau aux ailes d'or" dans l'édition poche collection "Babel" de chez Actes Sud .

Myrco - village de l'Orne - 75 ans - 4 juillet 2015