L'oiseau des ruines
de Pierre Benoit

critiqué par Shelton, le 15 avril 2012
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Un roman inconnu ou presque mais de grande qualité !
On dit souvent de Pierre Benoît, avec un ton péjoratif, qu'il n'était qu'un romancier populaire de la France coloniale. C'est vrai qu'il était de son temps, une époque où la France de la Troisième République pensait que les colonies devaient permettre de répandre les valeurs saintes de notre Révolution - Liberté, Fraternité et Egalité - alors qu'en fait elles donnaient la possibilité à des riches entrepreneurs d'exploiter encore plus l'être humain en s'enrichissant de façon démesurée...

Mais Pierre Benoît ne fut pas qu'un romancier colonialiste - le mot est de toute façon exagéré - et il lui arrivait d'aborder de nombreux autres thèmes. Par exemple, dans ce roman "L'oiseau des ruines" il est question de la grandeur et de la déchéance d'une famille, mais dans un univers rural, au cœur des Landes. Du coup, le personnage central est Inspecteur des Eaux et Forêts, de nombreuses scènes de chasse et de pêche viennent rythmer le récit et on sent que l'auteur n'est pas indifférent à cette nature fortement représentée par l'oiseau des ruines...

Mais reprenons bien cette affaire romanesque depuis le départ. Un homme est nommé inspecteur des Eaux et Forêts et va prendre possession de son poste en faisant connaissance de sa région, de son personnel... Dieu soit loué ! Le personnel est bien là, fidèle et serviable, efficace et bien renseigné… Par exemple, le brigadier Cazaubon, si prévenant, si renseigné, sur tout, oui tout… Et les gardes Malaplatte et Dupouts, oui ceux qui viennent porter tous les renseignements glanés un peu partout pour que le brigadier ne se fasse pas surprendre… Oui, on ne savait pas que les Eaux et Forêts étaient aussi une officine de renseignements… mais pourquoi pas !

Par contre, pour notre pauvre inspecteur ce sera plus complexe car tout ce qu’il fera, dira, rencontrera, chassera, pêchera, aimera… sera connu instantanément de tous ! Cela ne lui facilitera pas toujours la tâche…

La grande rencontre capitale de ce roman aura lieu en pleine nature, autour d’une scène de chasse et sera enrichie, dès le lendemain par une scène de pêche. Oui, notre inspecteur va rencontrer un grand de ce monde, le comte de Born. Bien sûr, cet homme aura une demeure, une femme, une fille… et les grands amateurs de Pierre Benoît de se demander, immédiatement, laquelle de ces deux femmes aura un prénom en A ! Oui, pour les autres, rappelons que les héroïnes de Pierre Benoît ont toutes un prénom qui commence par « A », une sorte de superstition dont l’auteur ne s’est pas départi tout au long de sa vie…

Il y a donc bien une certaine Agathe, une belle femme pleine de charme… mais je pense que vous ferez assez vite connaissance avec elle, que vous tenterez au fil des pages de percer son mystère et d’accompagner notre cher inspecteur dans sa quête de la vérité, dans sa recherche d’absolu et de justice, dans sa chasse au bonheur…

Un roman que j’ai beaucoup aimé, que j’ai trouvé très bien écrit et différent d’autres. En effet, certaines pages sont consacrées à la nature, à la vie en général, à la déchéance et à la chute de l’homme, tout en gardant des espaces au rachat, à l’espérance, au bonheur… Et, pourtant, le texte se termine à la veille de la première guerre mondiale qui va, probablement, emporter tous ces brigadiers, inspecteurs, comtes et autres personnages dans le même bain de sang en laissant les Agathe et Béatrix dans une grande solitude éternelle…

A découvrir car je crois que c’est un très bon roman même si je n’ai pas trouvé grand monde qui l’avait lu…
La reprise de l'écriture. 10 étoiles

Ce roman est en effet assez peu connu car il paraît au terme de la "mise au placard" de Pierre Benoit par ces "bons français" qui à des époques régulières surgissent du néant pour s'ériger en censeurs et prêcheurs de la "bonne parole".
Il n'est pas nécessaire de rappeler les causes de la mise à l'index de Pierre Benoit au terme des années d'occupation que Sartre lui-même appréciait pour leur liberté, c'est là un autre débat et un chemin sulfureux que la loi encadre et dirige.
Néanmoins amateur sans borne de cet auteur, je suis navrée à la lecture de certaines critiques lues ici et là, qui stigmatisent et fustigent ses choix sociétaux.
Je voudrais rappeler à mes contemporains qu'il est vain et sot de vouloir comprendre la société passée à l'aune actuelle.
Non, contrairement aux idées actuelles tant serinées, le passé n'était ni pire ni meilleur (ou plus exactement meilleur que l'aujourd'hui médiatique). En ces années où le joug colonial terrorisait le "bon sauvage" selon Rousseau, les élèves savaient écrire. Les adolescents s'exprimaient autrement que par des borborygmes inspirés des rythmes des banlieues nord américaines.
Enfin revenons à ce roman qui mérite en effet sa lecture comme d'ailleurs chacune des parutions de l'auteur.
Le contexte nous rappelle quelquefois plusieurs des ambiances des précédentes narrations. Koenigsmak pour son clin d'oeil aux cours de l'Europe germanique et austro-hongroise, l'île verte pour ses peintures de la nature verdoyante et de la faune forestière, mademoiselle de La Ferté pour ces Landes incontournables mais aussi Axelle pour la mystérieuse héroïne qui ici apparaît comme une Agathe au charme minéral et résigné.
Je ne peux dévoiler l'issue et laisse au lecteur sa découverte mais comme toujours Pierre Benoit sait avec talent reconsidérer une situation que l'on croyait construite, et pourtant !!!

Andrée27 - - 76 ans - 17 mars 2013