Tragaluz : (Soupirail)
de Marcos Malavia

critiqué par Débézed, le 10 avril 2012
(Besançon - 77 ans)


La note:  étoiles
L'angoisse de l'écriture
Comme de nombreux lecteurs assidus, j’ai été un jour tenté d’ajouter mes mots à tous ceux que je lisais, me retrouvant ainsi « dans l’antichambre des recalés de l’écriture » comme Dominique Charnay l’a écrit et même utilisé pour sous-titre du livre qu’il a consacré aux courriers reçus par Raymond Queneau, chez Gallimard, de la part de tous ceux qui « inconnus ils étaient, inconnus ils sont restés. » Et c’est au moment de rentrer dans cette antichambre que j’ai ouvert ce livre, acheté depuis un certain temps déjà, qui donne la parole à un manuscrit qui raconte comment il a pu s’imposer à l’esprit de son auteur alors qu’il n’était qu’à peine une idée qui n’avait jamais vu la lumière. Celui-ci narre ensuite la vie qu’il a eu, l’adolescence sous la plume hésitante du rédacteur, l’humiliation chez les éditeurs, les longues journées d’attente chez le libraire et enfin le plaisir d’être choisi par un lecteur qui le fera peut-être vivre pour l’éternité avant qu’il succombe dans les poubelles de la société de consommation. Un parcours chaotique peuplé d’incertitudes, d’indécisions, de découragements, de doutes, et, enfin, l’inspiration, la chance d’être choisi, édité et peut-être lu avant de connaître les affres de la vieillesse et de l’oubli.

Ce petit livre alterne, d’une part, les chapitres où le manuscrit raconte sa vie et, d’autre part, le récit du rêve que ce même manuscrit fait régulièrement et qui met en scène un gamin qui pourrait être son auteur. Un rêve fantasmagorique en forme d’allégorie de la création littéraire. Mais le discours sur cette œuvre créatrice, les choix éditoriaux, la lecture qui est considérée comme un élément constitutif de l’œuvre, - « C’est alors que j’ai compris qu’à chaque lecteur que je serais susceptible de croiser surgirait une histoire différente… Il y aurait autant de variantes que de lecteurs. » - dissimule mal un autre propos sur l’angoisse existentielle de l’auteur.

« Ce n’était pas tant mon histoire qui était importante, ni les personnages qui l’habitaient. Non, c’était que dans cette modestie transparaissaient aussi bien les inquiétudes, les désirs et les angoisses tout simples, qui pouvaient habiter n’importe quel être. »
Itinéraire d'un manuscrit. 6 étoiles

"Tragaluz", c'est un joli petit livre, avec qui on passe un assez agréable moment, mais qui a néanmoins le défaut de reposer un peu trop sur son excellente idée de départ: faire du manuscrit un narrateur.
Du temps où il n'était "qu'une idée et rien que ça", jusqu'au moment de sa mort, bouffé par les rats, "Soledad" se métamorphose et la personnification est bien rendue.
On note de très beaux passages et de belles réflexions sur la lecture, l'écriture, le commerce du livre, les objets qu'on ignore, et la vie qu'on donne ou non à un ouvrage qui n'aspire qu'à exister.
Surtout sur la lecture différente que chaque lecteur fera du même livre.

On ressent cependant des moments de flottements, où l'auteur brode un peu, le long extrait du manuscrit m'a semblé superflu, et je ne suis pas parvenue à relier au tout les parties en italique qui apparaissent en filigrane de la trame principale.

Inégal mais néanmoins plaisant.

Sissi - Besançon - 54 ans - 8 juin 2012