Exils
de Nuruddin Farah

critiqué par Tistou, le 5 avril 2012
( - 68 ans)


La note:  étoiles
Bienvenue dans l’enfer somalien
« Quel effet ça fait de vivre en ville ? demanda Jeebleh. - Le danger a son odeur, répondit Af-Laawe. Le problème c’est qu’entre l’instant où on le flaire et celui où survient la mort, il est trop tard. - Que veux-tu dire ? - Le danger, je le sens, c’est tout. - Je ne comprends pas." Jeebleh n’attendit pas la réponse, mais aperçut les trois jeunes armés d’un fusil qui, plus tôt, avaient monté la garde auprès de lui ; le trio chuchotait, ricanait, tout en jetant des coups d’oeil vers une passerelle d’embarquement. "Qu’est-ce qu’ils mijotent ? dit Jeebleh. - J’ai saisi des bribes de leur conversation. Ils faisaient des paris. - Sur quoi ? - Les jeunes brigades armées de notre ville s’amusent à choisir une cible sur laquelle ils tirent au jugé, chacun son tour. C’est un sport, un jeu pour tromper l’ennui. - Et c’est à ça qu’ils jouent en ce moment ? - Je pense. - On ne peut rien faire ? - Pourquoi prendre des risques ? - Il faut que quelqu’un leur parle. - A ta place, je resterais tranquille !" Jeebleh n’avait pas eu le temps de réagir qu’un coup de feu retentit. Une femme poussa un cri, ce fut la confusion générale. De là où se tenait Jeebleh, il aurait été difficile de reconstituer les faits, mais presque aussitôt quelqu’un expliqua ce qui s’était passé : le pilote de l’Antonov, un Texan, avait offert à la femme, une passagère, de l’aider à porter ses valises jusque dans l’appareil ; elle l’avait suivi sur la passerelle. Peut-être le tireur avait-il visé le pilote, qui, par chance, avait esquivé le danger. A moins que la lenteur avec laquelle la femme et ses enfants gravissaient les marches n’ait fait d’eux des cibles. Quoi qu’il en soit, la première balle avait atteint le fils aîné. »

« Exils » a été écrit par Nuruddin Farah en 2003. La déliquescence de la Somalie est déjà largement entamée. L’actualité n’est pas tant l’activité de piratage maritime que la mise en coupe réglée de tout ce qui peut rapporter de l’argent, du pouvoir. L’Etat n’existe plus. C’est dans ce contexte que Jeebleh, en exil depuis vingt ans à New York, revient à Mogadiscio pour tenter d’aider son ami d’enfance, Bile, à retrouver Raasta, sa fille, enlevée et également élucider les conditions de la mort de sa mère qu’il n’a pas revue et retrouver sa tombe.
C’est apocalyptique. Malheureusement certainement proche de la réalité et l’on pousse un soupir de soulagement quand il repart dans un avion pour New York. Pour autant Bile, Raasta, Seamus, Shanta restent dans le chaos. C’est vrai, des Somaliens vivent toujours en Somalie. Comment font-ils ?!
« Exils » n’est pas qu’un roman d’action – même si les conditions de vie là-bas génèrent de l’action dès que vous pointez le bout du nez dehors – c’est largement un roman de témoignage sur le « comment peut-on survivre là-bas ». Très prenant, et à ce titre angoissant.