La belle mort
de Mathieu Bablet

critiqué par B1p, le 1 avril 2012
( - 51 ans)


La note:  étoiles
Vie en décombres
Pour avoir lu sa bd et pour l'avoir vu ensuite en séance de dédicace, il est évident que Mathieu Bablet est quelqu'un pour qui dessiner est un art qu'on pratique avec soin. C'est encore confirmé quand on va jeter un coup d’œil sur son blog et les planches qu'il prépare pour ses albums à venir. Mais j'anticipe déjà. Commençons d'abord par le début.

Le début, donc, c'est "La Belle Mort", 1e volume de son travail à arriver dans les bacs des libraires.
Dans un monde post-apocalyptique, trois survivants arpentent ce qu'il reste des rues d'une grande ville à la recherche de nourriture. C'est que, depuis plusieurs années, l'humanité est un champ de ruines où des survivants en cherchent désespérément d'autres, tout en sachant que plus ils seront nombreux, plus il y aura de difficultés à survivre devant le manque criant de ressources.
Trois survivants, donc, arpentent les immeubles en ruine, violant les intérieurs désertés depuis longtemps tout en sachant que leur temps est compté : le désespoir est partout.
Alors qu'ils évoluent, ils doivent de plus être vigilants : si l'humanité a disparu, c'est qu'elle a été rayée de la carte par les "insectoïdes" : insectes géants, issus de mutations ou de contrées extraterrestres, on ne le sait avec certitude.
Trois survivants, donc, qui avancent sans but. Avant que des êtres hors du commun ne surgissent pour leur indiquer une voie vers un avenir encore plus incertain. Qui sont ces insectes qui agglutinent lentement le monde en leur cocon ? Qui est cette fille d'apparence humaine dont le but de la mission reste obscur ? Quel passé cache Soham, l'un des trois "héros" ?

Alignés comme ça, les ingrédients de Mathieu Bablet ne risquent pas de désorienter les amateurs de SF. Pourtant, il a l'art de les agencer d'une manière étrange, parfois contemplative, parfois violente, toujours avec une maestria graphique étonnante pour un dessinateur aussi jeune.

Évidemment, il y a certains aspects où on reste un peu sur sa faim au niveau du scénario, et la mise en place de celui-ci est parfois chaotique. Qui est cet être étrange mu par les insectes ? Qui est cette fille qui mène les héros à leur perte ?
Mais on restera admiratif du résultat car Bablet arrive haut la main à installer une ambiance lourde où suinte le désespoir là où d'autres dessinateurs de son âge auraient privilégié l'action et l'alignement au 1er degré des ingrédients des bouquins de ce genre. Et peu importe que certains pans de l'histoire des uns et des autres restent obscurs.

Arriver à installer une ambiance, c'est déjà la marque d'une personnalité qu'il faudra suivre : Bablet n'a pas peur d'être singulier et d'emprunter sa propre voie, c'est pourquoi il me semblait essentiel de parler de lui sur ce site !
Un monde post-apocalytique 7 étoiles

Cette bande dessinée rappelle d'autres récits post-apocalyptiques aussi bien au cinéma que dans des romans ou des BD, mais elle possède quand même son propre charme. Le lecteur entre volontiers dans cet univers ravagé par des insectoïdes. Il y a peu de survivants, peu de nourriture et beaucoup de désarroi. Alors mieux vaut réussir sa mort, du moins avoir celle que l'on a choisie ! Et puis il y a ce personnage envahi par les insectes qui gagne en force grâce à leur union, eux qui ne souhaitent pas disparaître. Hommes et insectes se retrouvent un peu dans la même situation. La manière dont Mathieu Bablet traite le sujet est intéressante et parvient progressivement à intriguer le lecteur. Le début ne m'emballait pas, la suite est assez accrocheuse.

Les visages sont peu expressifs et quelque peu naïfs, alors que les paysages urbains sont très bien rendus. Le dessinateur semble accorder une grande importance au cadre spatial et il est vrai que l'atmosphère créée donne de la force à son récit. On parvient à ressentir les impressions de ces personnages. On a le sentiment de déambuler dans cette grande ville déserte. Il y a quelque chose de profondément angoissant quand on en vient à penser que des milliers de personnes y vivaient et que désormais ils ont disparu. Et puis il y a ces nénuphars ou ce rouge qui apportent un peu de lumière parfois de ce monde désolé.
Certaines planches sont vraiment magnifiques. Les plus belles, à mes yeux, sont celles où il n'y a pas de personnages, ou alors de dos.

Certains choix faits par l'artiste et certaines scènes sont marquants. Malgré un contexte différent du nôtre, on ne peut s'empêcher de se projeter et de s'identifier. Cette oeuvre entre en résonance avec nos cauchemars et nos inquiétudes. Ces mondes post-apocalyptiques alimentent la SF, mais quand l'on voit certains débordements aujourd'hui et certains dirigeants azimutés l'on a parfois l'impression d'avoir une épée de Damoclès au-dessus de la tête.

Pucksimberg - Toulon - 45 ans - 27 janvier 2018