Tarnac, magasin général
de David Dufresne

critiqué par Radetsky, le 31 mars 2012
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Tarnac : l'Etat faiseur d'arnaques
David Dufresne a été journaliste durant plusieurs années à Libération et Médiapart, il est le réalisateur d'un film primé : Prison Valley et travaille en indépendant désormais. Trois années lui ont été nécessaires afin de démonter une des plus gigantesques esbroufes politico-policières de ces derniers temps. Il a approché les inculpés et leurs proches, les témoins, les familiers des politiques, les officines officielles ou officieuses, les journalistes de toute obédience, les magistrats et toutes les variantes que notre pays peut compter dans l'appareil policier (RG, SDAT, DCRI, Gendarmerie, etc. etc.). Il s'est procuré une masse impressionnante de procès-verbaux, d'interrogatoires, de rapports d'écoutes ou de filatures, de communiqués, de pièces diverses. Bref, c'est une sorte de "Vies parallèles" d'hommes illustres ou moins, de témoins occultes ou avérés, de protagonistes embarqués dans l'invraisemblable crise de paranoïa déclenchée par l'appareil d'Etat qui, flairant un os "susceptible" d'être juteux politiquement, a lancé sa puissance contre des "anarcho-autonomes" (définition elle-même étatique au parfum sui generis)entrant comme par miracle dans la catégorie si prisée de nos jours de supposés "terroristes". Sur quel motif ? Pas de violence, pas d'atteinte aux biens ou aux personnes, pas une arme, mais la conjonction d'un livre (http://www.critiqueslibres.com/i.php/vcrit/28699), de vagues soupçons, d'agitations sporadiques en France ou ailleurs et surtout des idées, un mode de vie atypique et aberrant pour notre société d'ilotes gavés et somnambuliques. Il n'en fallait pas plus pour que se décide en haut lieu que le moment était venu de monter une gigantesque "baraque" histoire de montrer au bon peuple qu'il était "protégé" et que Big Brother avait réponse à toutes les menaces, réelles ou imaginaires, ces dernières étant les plus susceptibles d'être manipulées, arrangées, "habillées" dans le jargon des modernes Vidocq et autres Javert. Alors se met en branle le mouvement brownien des agitateurs professionnels de la trouille organisée au profit d'un pouvoir : c'est à qui en rajoutera dans le fantasme, dans l'adjonction de preuves bidon, dans l'auto-suggestion, qui vont rendre folle la machine, avec les inévitables rivalités, les automatismes de l'esprit de corps (multiples !), le souci de "faire du chiffre", de justifier des ambitions, d'étayer une carrière. Et on va coffrer des jeunes ou moins jeunes sous les plus noires accusations, toutes reposant sur l'amplification d'une obsession, d'une névrose de la persécution portée à un niveau délirant. Le terrorisme... Des preuves ? Aucune. Rien. Le vide sidéral. Et les crochets en ferraille que des abrutis avaient déposés sur les caténaires de lignes TGV à diverses reprises paraissent n'avoir servi que de prétexte pour enfourner des gens qui n'y étaient pour rien.
Qu'on se le dise : la culture historique, politique ou philosophique de toutes les polices sur cette planète, n'a pas pour effet de les contraindre à réfléchir sur le bien fondé ou les conséquences d'un ordre.
La montagne n'a pas accouché d'une souris, pas même d'un microbe, mais d'un fantasme, d'un fantôme, d'une chimère dont quatre ans plus tard rien n'est sorti, sinon les aveux amers ou amusés (de la part des accusateurs-acteurs), recueillis dans l'ouvrage, d'une immense supercherie. Peu à peu, au fil des entretiens avec les protagonistes de cette affaire, que David Dufresne retranscrit, l'évidence se fait jour progressivement d'une machination mal ficelée, hésitante dans ses attendus, et d'autant plus acharnée qu'elle a conscience quelque part qu'il s'agit d'un vaste jeu de dupes, servi par des réflexes de castes, où l'on joue avec des êtres humains comme avec des billes. Les sursauts des consciences (lorsqu'il s'en produit) ne viendront que plus tard, alors que le mal est fait.

Les bourreaux nazis auxquels on reprochait leurs actes, répondaient "nous avions des ordres", ou bien "je faisais mon devoir".
On n'a donc rien appris ?

Notons que pendant tout ce temps, au regard des moyens techniques, humains, financiers (ce sont nos impôts qui supportent ce cirque) déployés autour de l'affaire Tarnac, un certain Mehra braquait, trafiquait, se payait des vacances studieuses en Afghanistan et au Pakistan dans des camps de vacances pour futurs assassins, en revenait, disposait de ressources suffisantes pour se constituer un arsenal à faire pâlir tous les Rambos, et finissait par liquider sept personnes et en blesser quelques autres, sans que l'énorme machine policière n'ait cru devoir ou pouvoir réagir à temps...
Vous avez dit "bizarre" ?
Au fond, rien de bizarre ni de surprenant. On revient avec application, avec obstination, avec l'obsession ruminatoire et compulsive des TOC, dans bien des attendus de la construction juridique qui a valu aux "Tarnac" leurs mésaventures, sur la volonté supposée de ceux-ci de "vouloir changer la forme politique (ou sociale) de la société" et ce "par la violence". On attend les preuves concrètes de la violence exercée d'une part, et d'autre part les raisons philosophiques ou morales qui justifieraient qu'on doive ne pas s'en prendre d'une façon ou une autre mais essentiellement par la parole et les intentions, à une société qui produit en tout point de cette planète la misère, la guerre, la violence institutionnelle, le pillage généralisé des ressources communes, l'exploitation des femmes et des enfants, le chantage permanent à la survie, le viol des consciences, et on en passe....