Seul
de Evgueni Ivanovitch Zamiatine

critiqué par Eric Eliès, le 26 mars 2012
( - 49 ans)


La note:  étoiles
Un révolutionnaire en prison
Ce très court roman présente quelques affinités avec l'extraordinaire chef d'oeuvre de Zamiatine : "Nous autres". Il raconte l'histoire d'un professeur (Bielov), emprisonné pour activités révolutionnaires, qui puise dans l'amour qu'il éprouve pour Liélka, une de ses anciennes étudiantes qui lui écrit en prison, la force de résister à la noirceur de l'univers carcéral. Lorsque Liélka refuse de venir le visiter au parloir, Bielov comprend soudain que son amour n'est pas partagé. Pour ne pas frustrer les futurs lecteurs de ce roman, je n'en dévoilerai pas la fin, même si on la pressent longtemps à l'avance.

La richesse du roman est moindre que celle de "Nous autres" ; néanmoins, cette oeuvre est remarquable par la noirceur de son atmosphère et par sa richesse métaphorique. Même s’il est écrit à la 3ème personne du singulier et évite donc toute démarche introspective, l’univers romanesque décrit par Zamiatine n’est en fait que la projection des états d’âme de Biélov et de sa représentation du monde, spécifique et particulière. L’extrême subjectivité du style insuffle une densité de présence peu commune aux objets, aux nuages, aux bruits, etc. qui semblent presque dotés d’une vie propre qui n’est en fait que le reflet de celle de Biélov. Parce qu’il est l’expression directe d’un rapport au monde et aux choses et qu’il privilégie, plutôt que l’analyse psychologique des sentiments du héros, la sensibilité du ressenti immédiat en accordant une grande attention aux nuances du silence, des ombres et des rêves, le roman de Zamiatine est profondément poétique. Il est en outre tragique, comme toute histoire d’amour et de mort.