Lettre ouverte aux voyous : Suivi de L'auteur du Grisbi vous parle du milieu
de Albert SImonin

critiqué par Noir de Polars, le 15 mars 2012
(PARIS - 56 ans)


La note:  étoiles
Au sommet de l’art-go
Résumé de l’éditeur

" Enfin Simonin vint, furtif Furetière qui remit de l'ordre dans le crime, comme Malherbe l'avait fait dans les vers."
C'est ainsi que Roger Nimier s'exprimait à propos d'Albert Simonin, et l'on ne pouvait trouver meilleure comparaison pour résumer la manière de ce grand "classique" que fut l'auteur du Grisbi, le scénariste des Tontons flingueurs chers au cœur de tous les cinéphiles.
Dans cette lettre pleine de fantaisie et d'humour, notre "Chateaubriand de l'argot" -comme se plaisait à l'appeler Léo Malet- prodigue ici ses conseils aux malfrats de tous les lieux et de tous les âges.

Les élucubrations du bertrand

Albert Simonin s’est visiblement fait plaisir avec cette lettre ouverte au mitan. Coup de pot, il nous enchante du même coup.
Cet essai date de 1966, coincé entre deux écritures de scenarii, ceux de « La métamorphose des cloportes » de Pierre Granier-Deferre (1965) et du « Pacha » de Georges Lautner, starring Jean Gabin et music by Gainsbourg (1967). Coincé sans doute, car très court, coincé mais ô combien délicat et délicieux pour cézigue dont le tympan frétille d’excitation au parlé marloupin.
La forme n’est pas celui de la lettre ouverte. Il s’agit d’un dialogue, qu’on imagine volontiers tenu une fin d’après-midi dans un bar des Champs, entre l’auteur, méfiant, provocateur, ironique, et un truand entre deux âges. Truand à la Ventura, franc, affectueux, mais la tête près du bonnet, la pogne gauche retenant celle de droite, la directe, d’empaffer le barbouilleur de pages vierges qui lui fait face.
Le fond de l’essai, le message qu’a voulu faire passer Simonin, c’est que le malfrat est bien loin, dans la réalité, de l’être pur, droit, franc, fidèle en amitié, correct quoique volage en amour, muet comme la carpe lorsque par obligation il fait un stage à la maison poulaga : « t’as entendu parler de la crampe du poignet chez les perdreaux, comme nouvelle maladie professionnelle ? (…) Ils tiennent plus les interrogatoires, les tiges, faut qu’ils se relaient à la machine à écrire tant le truand devient prolixe, raconte sa vie et celle des autres ».
Le dialogue qui forme cet essai, c’est donc celui d’un truand de cinoche, beau gosse sur le retour mais viril, oh là là, qui croit encore et toujours à un tas de trucs popularisés par Gilles Grangier & Co, face à un Albert Simonin qui lui assène ses quatre vérités : « Dis donc, innocent, je reproche, t’en es encore aux Mystères de Paris avec tes secrets du mitan. T’es l’ultime à y croire. Si je te laisse batifoler dans le légendaire, en moins de jouge, tu vas me placarder la loi du silence ! ».
Délice verbal, plaisir immense de lire une langue argotière si bien rendue, cet essai nous enivre d’air des faubourgs. A ne manquer sous aucun prétexte ! Quand on pense que certains (surtout certaines d’ailleurs) ne jurent que par Stephen King et sa littérature d’aéroport chic mais vide, je les plains sincèrement s’ils n’ont pas encore découvert la richesse qui se dégage de cette gare de banlieue là.
J’irai même jusqu’à l’élever aux cimes, ce bouquin, le poser piédestal, le maçonner palladium, l’éterniser fanal. Si t’as jamais lu du Simonin, t’as pas vraiment vécu…
Simonin cause du mitan 9 étoiles

Albert Simonin avec son accent parisien et ses manières de "titi" m'est proche en soi même si je ne l'ai pas connu car il me rappelle de mes grand mère, oncles et grands oncles ayant le même vocabulaire et le même sens de la formule incisive. Car les "titis" avaient cela pour eux, le sens de la vanne qui tue en trois quatre mots sans coup férir, et la même façon de placer les accents toniques comme il convenait de le faire, comme dans "J'Me casse".


Bien sûr, le sens de la formule ne rend pas automatiquement spirituel mais c'est déjà mieux que rien, que le néant servant de cervelle à des amuseurs actuels persuadés que dire des saloperies donne forcément l'air canaille.


Albert Simonin est souvent le grand oublié de la mémoire des films noirs des années 50, 60, des polars à la Papa. On évoque surtout Michel Audiard. Et comme lui on le réduit surtout à un aimable connaisseur de l'argot et du "milieu", un voyou divertissant que l'on invitait ou qu'on lit pour se donner des frissons et le genre "affranchi" bien qu'il s'évertua déjà à décevoir les attentes des mondains, des petits garçons et petites filles sages par esprit de contradiction ou juste pour leur "scier la rondelle".

Anecdote dans le coin en passant pour appuyer mes dires. Invité à une soirée kulturelle pour procurer ce genre de secousses aux dames et messieurs présents, voilà qu'Albert se met à parler de François Villon et Furetière, Vaugelas et Rabelais, ou Stevenson décrivant les bas-fonds de Londres, décevant les attentes superficielles de ces bourgeois cherchant déjà à tromper leur ennui, ignares car n'ayant jamais lu aucun des auteurs qu'il citait. Ils en furent pour leurs frais, ce qui était totalement volontaire de la part de l'arsouille originaire du XVIIIème. Il s'était bien payé leur tête et s'en était donné une bonne tranche.


Ce qu'il fait aussi dans ce livre où il tente une démystification rigolarde mais tendre du voyou. Il l'affirme tout comme Audiard d'ailleurs, le voyou ne parle pas aussi bien dans la vie que dans les films. Il a l'esprit plus fonctionnaire, plus tendance à préférer le costume de l'honnête homme à celui du gangster, le tweed aux rayures. Il vit dans le même genre de routine que la plupart des français, se souciant autant de son magot pour sa retraite que les autres. Pour un peu il placerait son butin dans les assurances sociales.


Simonin connaît bien le milieu ou "mitan" non pas parce qu'il en faisait partie mais parce que la plupart des ses copains de Résistance y ont fini, incapables de se réadapter après la guerre à une bête vie civile. Pour eux il est quand même un "cave" mais un cave introduit, un cave qui sait écouter en tenant son rang sans chercher à se pousser du col, un discret qui n'avait pas la racontouze. Il se fiche de la légende truande et lui préfère la réalité, même chez eux on a des pudeurs de rosière, des vapeurs de jeune fille sur les actes que l'on commet et que la morale réprouve.


Il en parle affectueusement tout en demeurant lucide sur eux car finalement il préfère largement ses milieux interlopes aux bourgeois persuadés de la légitimité de leurs vanités. C'était aussi une époque où l'on ne se souciait que modérément de manger cinq fruits et légumes par jour, de se ménager une hygiène de vie bien pépère, car les "hommes" savaient vivre sans freins, toutes voiles dehors sans l'angoisse du lendemain qui déchante en se moquant des certitudes, celles qui rendent fous, et sots.

AmauryWatremez - Evreux - 55 ans - 15 juin 2017