Le capitalisme à l'agonie
de Paul Jorion

critiqué par Bolcho, le 24 février 2012
(Bruxelles - 76 ans)


La note:  étoiles
Ne serait-il pas temps de songer à une euthanasie ?
Le point de départ de la réflexion de l’auteur, c’est cette constatation toute simple : comme la richesse n’est pas forcément (c’est le moins qu’on puisse dire) là où elle est nécessaire, il faut emprunter. Les emprunts entraînent des versements d’intérêts, lesquels vont rembourrer encore plus le matelas de ceux qui sont assez riches pour prêter. Donc, le capitalisme engendre la concentration de richesse qui finit par gripper tout le système.

Et tout concourt à accélérer le processus.
La part des salariés s’amenuise au fil des ans, ce qui ne permet plus d’écouler les marchandises produites, d’où le recours au crédit à la consommation…et aux intérêts.
Les entreprises ne distribuent plus seulement leurs gains aux actionnaires, mais aussi leurs gains à venir. Donc, les entreprises ont des problèmes de trésorerie, d’où leur besoin d’emprunter au lieu de s’autofinancer.

La spéculation en est arrivée à rendre ridicule l’ « économie réelle ». Or, il s’agit bien de paris, de jeux d’argent. Le livre nous apprend que, en France par exemple, il a été interdit de faire des paris sur les fluctuations de prix entre 1629 et 1885. Le texte de 1629 dit « toute dette de jeu est nulle, et toutes obligations et promesses faites pour le jeu, quelque déguisées qu’elles soient, nulles et de nul effet et déchargées de toutes obligations civiles et naturelles ».
Sage époque.

A comparer à la nôtre qui produit ce qui suit.
Au début des années 90 est arrivée une innovation financière, un produit dérivé appelé "credit default swap" (CDS) ; c’est une assurance contre le « risque de crédit ». Il est possible de la détourner de son but proclamé et d’en faire le support d’un simple pari. Le CDS permet en effet de s’assurer contre un risque que l’on ne court pas ! Une sorte d’ « assurance sur la voiture du voisin »…
L’augmentation de la demande de CDS sera pourtant considérée par « le marché » comme une évaluation objective du risque encouru. Il suffisait donc de demander des CDS pour doper l’apparence de risque, sachant que celle-ci est autoréalisatrice, puisqu’elle provoque la hausse du taux de la dette de l’Etat emprunteur.
Le spéculateur cherchera ensuite soit à revendre le CDS (à un prix devenu alors plus élevé), soit à pousser carrément le pays en défaut sur sa dette afin de toucher l’ « assurance » que constitue le CDS.
C’est ainsi qu’une spirale mortifère s’enclencha pour la Grèce. L’Espagne, l’Irlande, le Portugal subirent la même aventure.

Le livre contient toute une liste de ces « produits financiers ». J’avoue ne pas avoir tout compris, tant c’est tortueux et profondément retors.

Au rayon de quelques solutions dans une perspective de justice sociale (oui, c’est ringard, hein ?) :
- ne pas imposer le travail, activité humaine la plus utile ;
- imposer substantiellement les revenus du capital (y compris les stock-options) ;
- imposer de manière dissuasive les gains du jeu que sont les opérations financières.

Vous dites ? Impossible de faire ça dans un seul pays ? Ben oui. Vous croyez qu’ils vont un jour en parler à Davos ?
Moi, je ne suis pas sûr…

Un excellent livre donc qui vous permettra de réentendre parler d’un tas de gens plutôt intéressants : Marx (que Jorion remet en cause sur plusieurs points théoriques), Keynes, Freud, Lévy-Bruhl, Robespierre, Machiavel, Hegel, etc.

C’est presque aussi intéressant que de jouer en Bourse…
Le dernier galop d’un canard sans tête 8 étoiles


Un canard dont on a tranché la tête court encore, parait-il. Peut-être qu’il ne sait pas qu’il est mort (et comment pourrait-il d’ailleurs réfléchir à la question de sa vie ou de sa mort puisqu’il n’a plus de tête). Donc il court (un peu n’importe comment sans doute, difficile de s’orienter). Et après quelques mètres, il tombe raide mort.

Le capitalisme, tel que le présente Paul Jorion dans cet ouvrage, c’est pareil. Il est mort, mais il court encore (un peu n’importe comment aussi). Ses défauts inhérents l’ont tué : la concentration de la richesse, la surproduction, la spéculation, et pour finir la complexité. La démonstration qu’en fait Jorion est brillante et convaincante. Elle est aussi, quand il rentre dans les détails des dark pools, mortgage-based security et autres schmilblicks-à-générer-du-bel-argent, à la fois effrayante et difficile à suivre malgré le vrai talent qu’a l’auteur pour la vulgarisation économico-financière. En gros et en bref, quand il s’agit de pognon, le génie humain pour l’emberlificotage ne connait pas de limite. Ni le génie bancaire pour fourguer des produits avariés à une clientèle qui n’y entrave que pouic.

Certains passages sont même presque amusants, lorsqu’est évoquée la panique générale déclenchée par la crise des subprimes et qu’on découvre (quand même un peu effaré) les milliers de milliards de devises en tout genre enfournés par les états dans ce tonneau des danaïdes insatiable.

Je recommande ce livre à ceux qui doutent encore de la fin prochaine du capitalisme et qui le tiennent, sinon pour le meilleur des systèmes économiques, du moins pour le moins mauvais. Ils seront édifiés, j’espère, et découvriront que le capitalisme n’est pas un système, mais un défaut. Ils pourront ensuite poursuivre la lecture en direct de sa décapilotade sur le blog de P Jorion.

J’ajoute enfin, pour rassurer les libéraux et les socio-démocrates, que Jorion n’a rien d’un Kropotkine. C’est un expert reconnu, spécialiste de la fixation des prix, qui ne prône pas la collectivisation ni n’aspire aux lendemains qui chantent. Son propos n’en est que plus convaincant.

Guigomas - Valenciennes - 55 ans - 27 juin 2012