Castro
de Reinhard Kleist

critiqué par Shelton, le 19 février 2012
(Chalon-sur-Saône - 67 ans)


La note:  étoiles
Etonnant et très bon !
La collection Ecritures fête cette année ses dix ans d’existence et à cette occasion les éditions Casterman souhaitent nous proposer quelques ouvrages qui devraient rester des références dans le domaine… Voici donc “Castro”, un ouvrage à risques car finalement il s’agit de nous raconter une histoire que nous croyons tous connaître, un destin qui nous appartient tous et avec un personnage qui n’a jamais laissé personne indifférent… Donc, que nous l’aimions ou pas, qu’allons-nous pouvoir trouver là ?

Le premier élément à prendre en compte c’est que nous allons, effectivement, avoir la vie de Fidel Castro sous les yeux mais pas comme une biographie ou un ouvrage polémique, pas comme un ouvrage de propagande ou un livre de mémoire. En fait, c’est un photographe que nous allons suivre, un Allemand, Karl Mettens, qui arrive à La Havane pour réaliser un reportage sur Castro et ses révolutionnaires. Or, fasciné par ces femmes et ces hommes qu’il rencontre il décide de rester sur place. Ce récit va donc lever le voile sur un Castro, icône révolutionnaire, mais aussi sur une société cubaine qui va vivre cette « révolution « jour après jour avec de nombreuses incertitudes, des doutes, des révoltes, des certitudes et des souffrances certaines qu’elles soient dues aux actions américaines ou aux folies du « leader maximo »…

J’ai beaucoup aimé ce livre que l’on peut classer dans les romans graphiques sur fond historique car c’est avant tout une histoire humaine. Chaque personnage, de fiction ou de la grande Histoire, est un être vivant et humain, qui réagit comme les autres, avec ses points forts et ses faiblesses, doté de qualité et de défaut… Bref, chacun tente de vivre avec ses zones de lumières et d’ombres, que l’on se nomme Fidel ou Karl, Che ou Lara, Juan ou Raul… Vous ne trouverez pas là les justificatifs rationnels d’une cause ou d’une autre mais plutôt comment chacun s’accommode avec l’histoire pour la vivre, y survivre… et ce n’est pas toujours facile !

Même si les discours légendaires de Castro sont longs, cette bande dessinée est avant tout visuelle et dynamique et l’auteur a su transcrire cela avec une belle énergie qui en fait immédiatement un grand auteur de la bande dessinée alors que l’on peut dire que nous avons là son deuxième roman graphique (Cash, une vision romanesque et biographique du chanteur Johnny Cash). Certaines planches sont très réussies et devraient être exposées car réellement porteuses d’expressions artistique, historique, humaines…

Reinhard Kleist est allé à Cuba pour préparer son ouvrage et je pense qu’il a dû tomber sous le charme de cette île ensoleillée comme beaucoup d’autres avant lui. On peut imaginer aussi qu’il a compris la souffrance au quotidien de ceux qui sont obligés de se priver de beaucoup pour juste survivre…

J’ai particulièrement apprécié la dernière séquence, « L’épilogue », qui nous présente un Castro fatigué, assez réaliste sur ce qu’il laisse en héritage :
« J’ai essayé de changer le monde… mais c’était une illusion. Mais s’il fallait tout recommencer, je reprendrais le même chemin. »

Voilà, pourquoi j’ai beaucoup apprécié cette bande dessinée atypique et solide, artistique et historique, pétrie d’humanité et engagée, agréable à lire et regarder… oui, je crois que c’est un ouvrage à lire, faire lire et qui illustre parfaitement la maturité de la bande dessinée contemporaine, le talent de Reinhard Kleist et la qualité de cette collection âgée de juste dix ans !
Intéressant ! 7 étoiles

C’est en 2008 que Reinhard Kleist effectue un voyage à Cuba qui va faire naître chez lui un intérêt passionné pour l’histoire du dirigeant cubain Fidel Castro. Personnage pour le moins controversé, Castro n’en suscite pas moins curiosité.

Au travers du personnage de Karl Mertens, journaliste allemand happé par les idéaux de la Révolution, l’auteur ouvre une porte sur l’histoire de l’homme qui voulait amener une équité sociale dans son pays soumis à l’oppression du président et militaire Batista. Armé avant tout de ses convictions et d’un fort pouvoir de persuasion, Castro s’entoure de figures passionnées dont celle du célèbre Ernesto Guevara. Après une guérilla que l’on croyait précaire dans la Sierra Maestra, Castro suscite l’admiration et récolte le soutien de la population jusqu’au renversement du gouvernement Batista fin 1958.

Devenu une menace pour les États-Unis en raison de son projet de réformes sur la nationalisation de l’économie cubaine et de sa «sympathie» envers l’URSS, Castro verra l’embargo économique, politique, financier, tomber sur son pays. Il impose son projet d’alphabétisation du peuple et d’amélioration des soins de santé avec un certain succès mais, adhérant de plus en plus au communisme, voit la pauvreté de son pays aller croissant. Coupant court par la force à toute tentative de critique du régime et de la Révolution, Castro est encore aujourd’hui considéré comme dictateur s’entourant néanmoins de soutiens puissants en Amérique latine mais aussi en Europe (Jack Lang, Danielle Mitterrand) ou en Afrique (Nelson Mandela).

Comme son compagnon de Révolution Che Guevara, Castro fait partie de ces personnages contrastés qu’il est impossible d’aborder sans nuances. «Naïf», disait de lui Nixon, «mais pas communiste». Et pourtant…

Dans ce roman graphique, à l’ombre de Castro, ce personnage fictif de Karl Mertens, tiraillé jusqu’au bout entre sa foi inébranlable en la Révolution et les constatations implacables des exactions militaires sous le régime castriste. Comme ont dû l’être bon nombre de cubains, exilés finalement ou non. Ou le sont encore. Castro, «Fidel» pour ses partisans, a toujours été reconnu pour son aura de séduction et de facilité de communication avec le peuple.

Cet ouvrage, très bien traité mais tout d’un (trop) réaliste et dur noir et blanc, se lit avec beaucoup d’intérêt, d’émotions contradictoires, car il livre avec subtilité un regard sans parti pris.

Bluewitch - Charleroi - 44 ans - 1 mars 2012