Shakespeare n'a jamais fait ça
de Charles Bukowski

critiqué par AmauryWatremez, le 13 mai 2014
(Evreux - 54 ans)


La note:  étoiles
Un vieux dégueulasse chez les hurons
Charles Bukovski, écrivain sulfureux et « underground » dans son pays, est allé non sans curiosité en 1978 en Europe à la rencontre de ses nombreux lecteurs français et allemands. Ce n'est pas lui le « persan », le « huron », dans l'histoire mais toutes les personnes qu'ils croisent, de son traducteur allemand à son éditeur français dont il ne retient jamais le nom, est-ce Rodin ou Jardin ? On ne sait pas trop et peu importe au bout du compte. Bukovski s'en fiche de faire des courbettes à son découvreur français, tout ce qui compte pour lui c'est d'écrire, le nombre d'exemplaires vendu ensuite n'est pas son souci.



Il est accompagné dans son périple par sa compagne Linda Lee, sa bonne âme aux faux airs de Diane Keaton, attentionnée, fine, toujours derrière lui, qui l'aide à écrire, à ne pas trop se laisser aller à la boisson, à la noirceur et la misanthropie, la nostalgie des bars de L.A et de ses champs de courses. On aperçoit la figure de Barbet Schroeder, réalisateur talentueux et conducteur téméraire.



« Buk » ne se cache pas dans ce livre, ainsi que dans « Hollywood », derrière son alter-ego de papier, Henry Chinaski, il se livre tel que, sans masques, observe ce qui n'intéresse pas les écrivains officiels, les auteurs concernés : les petites gens, les clochards dans les gares, les putains de Hambourg ou de Pigalle, les poivrots qui ressassent vingt fois par jour leur histoire à la tête des passants qui passent, à l'époque pas encore tout à fait noyés dans les gadgets informatiques qui les encouragent au narcissisme. Bien sûr, et contrairement à ce que d'aucuns parmi les lecteurs s'imaginent, un écrivain qui fait mine de se livrer ne le fait pas entièrement, il garde toujours une part de pudeur, de jardin secret, d'enfances au sens classique du terme, et comme chez tous les écrivains intéressants cette part d'enfance est fondamentale.



L'auteur raconte entre autres son passage catastrophique, amusant et finalement dans la veine de ce qu'en aurait fait l'Ignatius de « la Conjuration des Imbéciles », à « Apostrophes » avec Pivot, que vin blanc et « sunlights » télévisuels ne font pas bon ménage quand il s'agit de rester cohérent, et que les « anars syndiqués » comme Cavanna, invités à la même émission, sont plus des sujets de pendule pour intérieurs bourgeois, et parfois des baudruches, des auteurs bien sages au fond, qui pensent qu'aligner des gros mots et un vocabulaire ainsi qu'un style finalement artificiels suffit à faire populaire et authentique.



L'argot et les expression qui se veulent « vraies » chez ces auteurs effectivement bien proprets sonnent toujours faux, on sent qu'ils les utilisent comme à regrets, contrairement à Audiard ou Dard qui connaissaient le « jus de la rue », tout comme Céline ou Marcel Aymé, tous deux piétons de Montmartre, de la « Butte » où l'on disait son fait au bourgeois fat et prétentieux, où l'on n'hésitait pas à remettre à sa place les beaux messieurs se donnant le genre cultivé et les belles dames lettrées. « Buk » aussi vient de la rue, il y a grandi, exercé de multiples boulots avant que de devenir célèbre, et presque riche.



L'expérience de la rue ne se singe pas, ne s'imagine pas, même par procuration, elle se vit. Et elle n'est ni pittoresque, ni drôle, ni charmante...



Les ivrognes ne sont pas tous des philosophes en devenir, balançant des paroles de sagesse, la plupart du temps ils puent de la gueule, éructent des banalités sans queue ni tête, ils insultent les mères de famille, les péripatéticiennes ne sont pas toutes des « filles de joie » au regard clair, pétulantes, la plupart du temps, elles ont toutes le même regard triste, qui sombre progressivement, au fur et à mesure que leurs traits s'affaissent l'âge venant, les travestis au petit matin sont souvent d'une tristesse à pierre fendre, le bourgeois égrillard qui les croise d'aventure ne s'en rendra jamais compte.



L'on devine aussi que ce qui compte vraiment pour « Buk » ce n'est pas tellement les lectures en public, les articles de journaux, les interviews agrémentées de questions souvent ridicules, mais surtout de revoir Andernach où il est né en 1920, son oncle Heinrich âgé de quatre-vingt dix ans avant qu'il ne meurt. « Buk » redevient alors un gosse turbulent, un gosse qui a commis de nombreuses bêtises, en ayant un peu honte et voulant se faire pardonner, un gosse en recherche de simple tendresse.



Il est un gosse certainement non désiré par son père, souffrant de plus dans son enfance et d'une bonne partie de son adolescence d'une acné qui a dévasté son visage et son corps à l'âge où les garçons ont envie de plaire aux filles. « Buk » a développé sa colère envers les grandes personnes, sa révolte, se gardant bien d'accepter les compromis sociaux obligatoires, ne s'inquiétant que d'écrire. L'écriture est pour lui un enjeu existentiel ainsi que pour les écrivains qui ont quelque talent. Il est des imbéciles qui ne lisent jamais de romans, jamais de poésies, encore moins de livres dits de genre, ils n'ouvrent que des « livres sérieux », tant pis pour eux.





Ils ne liront jamais ces chroniques...