Le cahier à fleurs, Tome 1 : Mauvaise orchestration
de Laurent Galandon (Scénario), Viviane Nicaise (Dessin)

critiqué par Shelton, le 15 février 2012
(Chalon-sur-Saône - 68 ans)


La note:  étoiles
Une bonne série, un sujet grave, un traitement agréable...
Chaque fois que le cas se présente avec une œuvre qui raconte un grand drame de l’humanité, on s’interroge pour savoir si c’est normal que le théâtre, le cinéma, la bande dessinée ou le roman s’approprie une telle mésaventure humaine. Est-il acceptable de parler de la Shoah, du drame cambodgien, de la terreur sous Robespierre … dans des œuvres de fiction ? Et il y aura toujours des gens de mauvaise foi ou trop blessés dans leur âmes et leurs corps pour interdire de tels récits. Pourtant, quand c’est fait avec autant de talent que ce que propose Laurent Galandon, je suis prêt à affirmer que c’est une bonne chose, que c’est salutaire et que c’est ainsi que l’on transmet aux jeunes générations et que l’on construit un avenir meilleur…

Le cahier de fleurs n’est pas un ouvrage sur la Shoah mais sur un autre génocide, celui des Arméniens en Turquie en 1915. C’est à la fois loin est proche de nous. Loin car c’était au cœur de la Turquie, en Anatolie. Il n’y a plus de survivants encore vivants pour témoigner de ce qui s’est passé et il est même difficile de faire un travail de mémoire puisque les « coupables » n’ont jamais rien reconnu ! Récemment encore, après un vote du parlement français d’une loi qui faisait référence à ce génocide arménien, on a pu mesurer que cet événement qui sera bientôt centenaire faisait débat…

Les auteurs, ici, ne cherchent pas à rétablir l’histoire comme s’ils étaient dépositaires de la vérité absolue, ils ne jouent pas aux experts en expliquant pourquoi le génocide a eu lieu ni même si le mot génocide est utilisé à bon escient, non, en fait ils nous racontent l’histoire d’une famille, de deux enfants plus précisément…

Nous sommes en 1915, en Anatolie, dans une famille arménienne et nous découvrons l’intérieur d’une boutique de luthier. Le responsable est le père de famille et très rapidement nous faisons connaissance avec ses deux enfants : une grande fille Mayranoliche, qui est non seulement belle mais qui « aborde la musique avec autant de passion que » son père porte d’attention et de minutie aux instruments, et un petit garçon plus volubile et vif, Dikran, qui adore sa sœur.

La vie semble belle et paisible malgré les indices qui montrent que les Turcs sont en trains de vouloir se séparer des Arméniens. Le drame vient et, comme souvent dans ces situations-là, les victimes n’en croient rien. Elles sont presque dociles. Non, les Turcs avec qui nous vivons depuis des siècles ne peuvent pas nous faire du mal…

Pour arriver à nous faire le récit de ce drame humain, Laurent Galandon a construit un scénario bien sympathique avec deux personnages qui se croisent de nos jours et avec le témoin qui fera le lien, qui va se trouver en position de transmettre ce que les cours d’histoire n’ont pas mis en lumière dans un pays qui nie tout en bloc de ces événement de 1915. Et pour provoquer cette rencontre intergénérationnelle, il utilise la musique dont chacun sait bien qu’elle adoucit les mœurs…

Dans cette très belle histoire, il n’y a pas les gentils Arméniens et les méchants Turcs. Non, tout ce récit pétri d’humanisme montre des personnages qui sont avant toute chose des femmes, des enfants et des hommes, plongés dans une situation qui les dépasse totalement et certains se révéleront courageux, bons et altruistes, d’autres non…

Cet excellent album est sorti chez Bamboo pour le quatre-vingt-quinzième anniversaire de ce génocide – un tiers de la population arménienne de Turquie éliminé – et à l’approche cette fois du centenaire, il semble important de remettre ce diptyque dans la lumière car bien souvent une belle œuvre en dit plus qu’un long discours…

Incontournable pour tous les Français qui ont des origines arméniennes, indispensable à tous ceux qui veulent que les jeunes générations n’oublient pas ce premier drame du vingtième siècle, tranche de bonheur pour tous ceux qui ont aimé le travail de Laurent Galandon dans L’envolée sauvage – Arno Monin au dessin – enfin, à surtout ne pas rater pour tous les amateurs du travail de Viviane Nicaise la dessinatrice.

En effet, nous sommes là en présence d’une dessinatrice de la bande dessinée qui se fait trop rare à mon avis et que j’avais découverte avec les séries Sang de lune, Six jours pour mourir ou La vie en rose… Je trouve que sa narration graphique est ici resplendissante et qu’elle arrive à transmettre des émotions fortes de façon étonnante. Certaines planches sont à garder dans les écoles de bédé et illustrent parfaitement que pour raconter en bédé on peut, on doit, utiliser le dessin dans toutes ses dimensions…

Cette histoire en deux volumes doit donc trouver rapidement sa place dans votre bibliothèque et pour ceux qui auraient encore des doutes il existe une bande annonce : http://dailymotion.com/video/…