A une heure incertaine
de Primo Levi

critiqué par Septularisen, le 28 décembre 2015
(Luxembourg - 56 ans)


La note:  étoiles
Et que le cours du temps fait une pause.
Si Primo LEVI est surtout connu pour son témoignage sur l'expérience des camps de la mort avec son œuvre majeure et monumentale : "Si c'est un homme", (et sa suite « La Trêve), cela ne doit pas être l’arbre qui cache la forêt, puisque, à ses heures, le grand écrivain italien a aussi été… poète !
En effet, ce recueil – qui va de février 1943 à janvier 1987, soit très peu de temps avant le suicide de l’écrivain -, rassemble toute l’œuvre poétique de Primo LEVI, celui qui pourtant ne se voyait pas du tout poète et s’excusait même d’avoir, « par intervalles à une heure incertaine, cédé à une impulsion »…

L’auteur italien nous propose ici une poésie sobre, claire et lumineuse, avec une éthique et une esthétique qui n’appartiennent qu’à lui. Bien entendu il nous parle aussi de la part d’ombre et d’irrationnel qui est en chacun de nous. Je dois dire que le tout m’a frappé par sa modernité et son actualité.

C’est une poésie facile à lire, Promo LEVI nous parle de thèmes et d’images simples et courantes comme p. ex les voleurs « Ils boivent votre temps et le recrachent // Comme on jette une ordure // Jamais vous ne verrez leur visage. Ont-ils même un visage ? ». Il y a aussi les animaux comme p.ex. les mouches «C’est moi qui, en dernier, baise les lèvres // Sèches des moribonds ou des morts en sursis. », ou encore les dromadaires : « Point de serviteur qui n’ait son royaume. // le mien s’appelle désolation ; // C’est un royaume illimité. ».
Il parle de choses futiles, mais toujours de manière saisissante, comme p. ex. de la poussière « Combien de poussière se dépose // Sur le tissu nerveux d’une vie ? », ou encore le jeu d’échecs (qui n’est pas ici sans rappeler la poésie de Jorge Luis BORGES), « L’abominable dame noire, // A eu autant de nerf que moi // Pour secourir son roi inepte, // Non moins inepte et lâche que le mien, // S’entend. dès le début, il reste tapi, // Derrière la rangée de ses vaillants soldats // Avant que de s’enfuir à travers l’échiquier, // Oblique, ridicule, à ses petits pas coincés : // Les batailles ne sont point affaires de rois. ».

Mais aussi, bien entendu, de choses très sérieuses : « Je ne veux rien écrire d’aucun cortège brun. », car bien entendu il n’oublie pas d’où il vient et ce qu’il a vécu : « N’oubliez pas que cela fut, // Non, ne l’oubliez pas : // Gravez ces mots dans votre cœur. // Pensez-y chez vous, dans la rue, // En vous couchant, en vous levant ;… ».

Mais laissons parler l’écrivain, voici ce qu’il écrivit le 12 juillet 1980, à se femme, à l’occasion de son anniversaire.

12 juillet 1980

Prends patience, ma femme, ma femme fatiguée,
Prends patience à l’égard des choses de ce monde,
Et de tes compagnons de route, dont je suis,
Dès lors qu’il t’est échu de m’avoir en partage.
Accepte, au bout de tant d’années, ces quelques vers grincheux,
Pour l’accomplissement de ton anniversaire.
Prends patience, ma femme impatiente,
Toi broyée, macérée, écorchée,
Et qui t’écorches un peu toi-même chaque jour.
Pour que la chair à vif te fasse un peu plus mal.
Il n’est plus temps de vivre seuls.
Accepte, s’il te plaît, là, ces quatorze vers,
C’est ma façon bourrue de te dire chérie,
Et que je ne saurais, sans toi, rester au monde.

Rien à dire de plus, si ce n’est de découvrir ces « impulsions » de Primo LEVI, ne fut-ce que pour découvrir l’écrivain italien comme on ne l’a jamais lu…