Rhum express
de Hunter Stockton Thompson

critiqué par Nothingman, le 5 février 2012
(Marche-en- Famenne - 44 ans)


La note:  étoiles
Les désillusions d'un journaliste
Rhum Express est le premier roman d’Hunter S. Thompson, celui qui, notamment avec son immersion dans l’univers des Hell’s Angels, a popularisé le journalisme gonzo, soit une méthode d’investigation journalistique basée sur l’ultra-subjectivité.
Mais avant ces promenades endiablées à dos de moto ou les trips hallucinogènes à Las Vegas, un jeune journaliste débarquait à Porto Rico pour travailler dans une rédaction un peu bancale. De cette expérience de jeunesse, Hunter S. Thompson en a tiré ce récit largement autobiographique, en s’inventant un double littéraire, Paul Kemp. Ce dernier atterrit au San Juan Daily News, dans une rédaction de bras cassés et de soiffards invétérés qui n’attendent que leur paie pour aller la boire en rhum dans des bars locaux. Paul Kemp fait connaissance avec tout ce petit monde et se lie d’amitié avec Sala, un photographe désabusé qui l’héberge dans son appartement cafardeux le temps qu’il se trouve un logement. Il sympathisera encore avec Sanderson, un homme d'influence sur l'île, mais aussi et surtout avec Yeamon, le rebelle de la rédaction, qui vit une histoire d’amour avec Chenault, une jeune new-yorkaise un rien délurée, mais surtout très paumée. Avec cette bande de clochards célestes du journalisme, le jeune Kemp va vivre des soirées parsemées de fêtes, de cuites au rhum, de bagarres avec des policiers hispanophones et de nuits passées souvent à la belle étoile sur les plages de Porto Rico. Le tout néanmoins entrecoupé par son boulot dans cette rédaction qui flirte de plus en plus avec la banqueroute. Entraîné dans cette spirale un peu folle, le journaliste se contente de suivre le mouvement, en spectateur de sa propre vie, avant néanmoins d’établir une introspection salutaire. En effet, il se rend bien compte que son existence sur cette île part dans tous les sens. Il se rend à la fois compte que cet endroit, dont les descriptions sont splendides, ne lui apporte rien de bon, mais néanmoins, un petit « je ne sais quoi » lui donne l’envie de rester. C’est constamment tiraillé entre ce désir de mettre les voiles et celui de s’établir qu’oscille le jeune Kemp. Sur cette île, il va vite comprendre que l’éthique journalistique est un vain mot. Ilo va également faire connaissance avec une succession de compatriotes expatriés comme lui et cyniques, désireux de s’en mettre plein les poches, en investissant à tout va sur cette île. Ou quand un paradis terrestre est peu à peu menacé par l’expansion immobilière. Entre autres petits extras, le journaliste devra d’ailleurs rédiger un espace promotionnel au profit de promoteurs immobiliers s’apprêtant à transformer une petite crique typique en complexe hôtelier.
« Voilà, j’étais payé vingt-cinq dollars par jour pour bousiller le seul lieu au monde où j’avais éprouvé une certaine paix intérieure en l’espace de dix ans. Payé à marcher sur mes propres plates-bandes, comme on dit. Et si j’étais là, c’était uniquement parce que je m’étais soûlé, fait arrêter et que j’étais devenu ainsi un pion dans une partie débile qui me dépassait. »
Il est vrai que, sous le couvert de pérégrinations éthyliques, le livre montre le visage peu reluisant d’une Amérique impérialiste. Privé de publication en 1967, ce roman initiatique ne sera finalement publié que trente ans plus tard. La légende raconte que c’est l’acteur Johnny Depp qui a retrouvé le manuscrit dans un fond de tiroir lors de la préparation du tournage de « Las Vegas Parano », film tiré d un autre roman de l’auteur. L’acteur que l’on retrouvait d’ailleurs récemment dans une adaptation cinéma de ce roman.