D'autres Venise
de Paul Morand

critiqué par Jlc, le 5 février 2012
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Baedeker littéraire
Le Baedeker a été un le premier guide touristique au format de poche que tout voyageur un peu snob du début de vingtième siècle se devait d’emporter. Paul Morand dont Venise fut la dernière passion a toute sa vie rendu visite à la sérénissime « encore belle comme on l’est à l’ombre des années ». Sahkti a joliment intitulé « Venises pour la vie » sa critique d’un autre de ses livres, « Venises ». Elle lui a donc inspiré de nombreux écrits, souvent splendides mais éparpillés qu’Olivier Aubertin a réunis. « Carnet de Venise » avait déjà été réédité en 2001 dans « Au seul plaisir de voyager » déjà évoqué sur CL.

Olivier Aubertin a raison de voir dans ces textes le subtil alliage de la « précision du guide touristique aux impressions du récit de voyage ». Si Morand sait évoquer souvenirs historiques et littéraires, il sait aussi prendre le recul et le temps pour décrire la cité. Car à Venise, lui, que l’on dit toujours pressé, sait s’arrêter. S’il rappelle l’amour et l’émerveillement pour cette « ville de Narcisses » qui submergea aussi bien Goethe que Byron, Chateaubriand ou Proust (qui n’y vint jamais), Nietzsche, Henry James ou Thomas Mann au point faire de ce petit livre un Baedeker littéraire, il sait aussi dénicher anecdotes et trouvailles. Ainsi nous apprend-t-il que les Vénitiens ont inventé l’impôt sur le revenu mais aussi la loterie, la censure mais aussi le miroir de verre, le ghetto mais aussi la boîte aux lettres anonymes qui s’ouvrait dans la bouche d’un lion. Venise ville qui cultive sa différence mais dont le fascisme viendra pourtant à bout en faisant de ses ouvriers des hommes propres bien habillés et silencieux (Morand que l’on sait très à droite n’entend pas dans ce silence le bruit de la peur). Ainsi va-t-on du frivole au grave.

Mais Venise est devenue une vielle dame que l’on ne bouscule plus trop. Ce n’est pas nouveau, Bonaparte en 1797 n’y avait trouvé qu’une « momie pourrie ». Aujourd’hui, « Le lion de Saint Marc sur les genoux, la douairière Venise tricote ses souvenirs ». Envahie de touristes qui ne savent voir qu’au travers d’un objectif en bandoulière, elle n’est plus qu’un « décor congelé à nos brûlantes tragédies ». Et pourtant chaque fois qu’il y vient il sent combien « la vie y fermente toujours, même dans les eaux stagnantes. »

En partance pour Venise, n’oubliez pas de mettre ce petit livre dans votre poche. Vous y voyagerez avec un de ses amoureux qui, dans une langue et un style remarquables, vous fera superbement percevoir que « le reflet de Venise est plus léger que sa réalité ».

Bon voyage.
Un vénitien ne visite jamais le reste de l'Italie... 8 étoiles

"Les écrivains ont tellement versé de larmes q'on y circule plus qu'en bateau" écrit Morand. D'autres Venise est un livre érudit et sentimental et la langue de Morand s'y déploie langoureusement.
Certes c'est son Venise mais les amoureux de la Sérénissime s'y retrouveront aussi; chacun aime à sa manière mais cet amour commun nous rapproche. Je crois que cette heure de lecture passée avec "d'autres Venise" se savoure mieux après y être allé....

Fredericpaul - Chereng - 63 ans - 22 avril 2016