Bains de soleil
de Paul Morand

critiqué par Jlc, le 5 février 2012
( - 81 ans)


La note:  étoiles
Echappées belles
Ce recueil de textes de Paul Morand est le dernier (pour le moment ?) des trois réunis par Olivier Aubertin. Exilé volontaire à Vevey, en Suisse, pour son soutien actif au régime de Vichy, Morand s’en échappe souvent entre 1954 et 1965 vers le sud de l’Europe avec un désir obstiné d’ailleurs. « Je prends des bains de mer et je regarde tomber l’Europe ».

Etre ailleurs : il suffit de consulter son agenda qui le dit un jour en Espagne où «il silhouette le paysan, héroïque comme le Cid, moine et guerrier de la reconquête d’un sol ingrat battu par le vent l’hiver, craquelé par l’été » avant de gagner Madère, « cette île où l’été vient passer l’hiver », puis les Açores, « sorte d’usine à tempêtes », avant un retour à Villefranche-sur-mer où il possède une maisonnette « lieu géométrique de l’invitation au repos » ce qui est pour le moins surprenant chez cet inlassable travailleur. On le retrouve enfin à la marge de l’Europe, en Crète « l’île où le soleil se lève Asie (et) se couche Europe ». On y rajoute le récit détaillé de visites à Palma de Majorque et un texte sur « L’Espagne noire », celle d’un dix septième siècle étendu, d’El Gréco qui a « mangé » les couleurs claires à Goya dont la vie ressemble à sa palette, « elle commence rose, elle finit noire ».

Etre ailleurs, c’est aussi fuir pour cet écrivain dont l’enfermement fut un thème récurrent de son œuvre et qui connaissait certainement ce vers de Dante : « Le bonheur se trouve toujours sur l’autre rive ». Mais cette fuite est aussi une échappée belle. Morand fut cet homme heureux que décrivait son ami Roger Nimier (mort dans un accident de voiture en 1962) : « Un éternel jeune homme, pétri de soleil, d’intelligence et d’eau de mer, nourri de poissons frais et la gorge veloutée par le Jerez ». Un homme à l’intensité du regard ou plutôt de la sensation, qualité première du voyageur qui souhaite découvrir, chercher, comprendre, en un mot aimer.

Paul Morand a l’œil pour voir ce que d’autres ne saisissent pas d’où, comme chez bien des privilégiés, cet agacement devant le tourisme « de masse » qui d’une part ne saurait pas regarder, obnubilé par la photo à prendre, et d’autre part perturberait ceux qui veulent prendre leur temps, avoir le recul nécessaire à une découverte personnelle et garder pour eux seuls les trésors de l’humanité..

Comme toujours c’est magistralement bien écrit, dans un style qui colle au sujet, sans afféterie, avec ce sens de la formule toujours significative (« Là où un Espagnol tue, un Portugais casse une assiette ») et de l’anecdote révélatrice. Je ne peux m’empêcher pour conclure de rapporter ce dialogue :
« Tiens voilà de quoi manger dit un monsieur à un mendiant
- Ce n’est pas pour manger que je demande l’aumône mais pour m’acheter un chapeau.
« Et pourquoi un chapeau ?
- Pour saluer. »
Toute une Espagne est dans cet échange et Morand a su le saisir.