Nu-Men, Tome 1 : Guerre urbaine
de Fabrice Neaud

critiqué par B1p, le 29 janvier 2012
( - 51 ans)


La note:  étoiles
là où on ne l'attendait pas
On avait perdu Fabrice Neaud de vue. Le dernier tome de son Journal, grand pavé lancé dans la mare de la bande dessinée à papa, est en effet sorti il y a près de 10 ans de cela (si on excepte les versions augmentées sorties ensuite).
Dans cette réalisation tout à fait exceptionnelle (voir le tome 3 chroniqué sur le site), Neaud s'attachait à inventer l'autobiographie en bd. Avec "nu-men", on est à cent lieues de cela. C'est donc avec une curiosité énorme que j'ai entamé la lecture.

Le sergent Anton Csymanovski s'attache à faire respecter l'ordre dans une grande ville européenne. Depuis que les États-Unis ont été recouverts de lave par un volcan et que l'Afrique a été pratiquement abandonnée suite aux ravages du sida, les pays d'Eurasie ont dressé un mur pour faire barrage aux réfugiés. Mais à l'intérieur, le cri des mécontents se fait parfois entendre alors que l'extrême-droite est prête à battre tous les records historiques aux élections.
Dans ce fatras idéologique malsain, des événements étranges surviennent comme si des technologies secrètes étaient remises en branle après avoir disparu dans le grand cataclysme. Réfugiés utilisés comme cobayes dans des centres secrets, portes spatio-temporelles, trous de vers qui semblent s'ouvrir dans un grand fracas de mort alors que ceux qui tirent les ficelles semble marcher dans les airs au-dessus d'un monde en déréliction.

Fabrice Neaud tisse dans ce 1e tome un réseau assez dense de références qui sont archi-connues pour les amateurs du genre. Mais il le fait sur un ton personnel qui tire l'histoire vers le haut et fait penser qu'on a encore ici à faire à un auteur plutôt qu'à une bd de série.

Son trait reste reconnaissable et son goût pour les héros bien gaulés aussi. La caricature n'est jamais très loin. Il s'en servait déjà dans son journal pour dénoncer le monde d'aujourd'hui, il continue ici en s'attaquant à un monde qui est à peine plus abject que le nôtre.
A peine pourrait-on dire que le sexe y est (encore) plus présent que maintenant : informations débitées par une drag-queen en string, culte du corps dans des centres de musculation où on mâte des pornos jusqu'à s'en faire exploser la cervelle (mais je ne suis pas sûr que ce soit la vraie raison de l'"accident cérébral").

Neaud s'accorde une liberté de ton et de critique indéniable. On est parfois sur le fil de la transgression et on dépasse souvent la limite de la vulgarité, mais c'est notre monde qui est (déjà) comme ça messieurs dames ! Moi ça m'a fait penser au "Rank Xerox" de Liberatore pour son aspect débridé et provoc' plutôt qu'à la SF éthérée de Bec ou Marazano, et ça m'a vraiment fait du bien !

Mais je dois avant tout reconnaître que Neaud s'invente ici un ton qui n'appartient qu'à lui au sein d'un genre pourtant on ne peut plus balisé. Un auteur, donc...