Les filles du Calvaire
de Pierre Combescot

critiqué par Sundernono, le 23 janvier 2012
(Nice - 41 ans)


La note:  étoiles
Madame Maud
Il y a des livres qui une fois refermés vous laissent un souvenir impérissable, un sentiment de manque, ils vous laissent cette sensation d’avoir vécu à travers ces pages quelque chose d’indéfinissable, ce sentiment d’avoir vécu une expérience que l’on aurait aimé ne jamais voir s’achever. « Les filles du Calvaire » est de ceux-là, un roman tout simplement à part.

Il est impossible de résumer les 507 pages denses de ce livre.
Disons que l’intrigue est rassemblée autour du personnage de Madame Maud, propriétaire du bistrot des Trapézistes dans le quartier des Filles-du-Calvaire, juive tunisienne dont la grand-mère, Emma Boccara, alimenta jadis la chronique de La Goulette. Autour d'elle, un petit monde interlope et coloré où se côtoient artistes du cirque d’Hiver tout proche, souteneurs, prostitués des deux sexes, rabbins, danseuses, flics et commerçants. Mille et une destinées qui emplissent ce livre baroque, dans le Paris de la première moitié du siècle. Les bas-fonds parisiens, truanderie et prostitution, y sont dépeints sous une forme poétique et unique.
Ce roman est frappant par la grande richesse de ses personnages. Pierre Combescot semble en effet avoir pris un réel plaisir à enrichir leur histoire, l’auteur faisant preuve d’une grande générosité à leur égard. On navigue à travers le temps et l’espace, Tunis fin XIXe, Naples sous Mussolini, Nice, Paris pendant la « joyeuse collaboration », un régal.
La construction du livre elle aussi est appréciable, tant tout ce petit monde se retrouve « tissé » les uns aux autres, sans réellement le savoir. Plus la lecture avance, plus l’addiction devient forte, je n’avais plus ressenti cela depuis le fabuleux Middlesex de Jeffrey Eugenides, on a du mal à relâcher ces « filles du Calvaire ».
Quant aux personnages, il y en a tellement, avec leurs histoires, leurs caractères, leurs envies, leurs passions, leurs vices, qu’il est difficile de tous les citer. Mes préférences vont à la flamboyante Emma Boccara, au douteux Inspecteur Changarnier de la Mondaine, dit « le Chinois », Pierrot le «Phoque » ou encore le fameux Dédé.
Le style est brillant, avec cette part de poésie mais également d’argot pour mieux rentrer dans l'époque et le milieu distillé dans ce roman.On se croirait dans une peinture de Toulouse Lautrec avec sa Goulue et Valentin le désossé.
Comme rien ne vaut mieux que les mots, voici un bref extrait se déroulant lorsque le clown Zampone qui a indirectement provoqué sa mort dans une ultime pirouette au destin se retrouve cerné par les chemises noires :
« J’ai vécu dix fois plus intensément que tout ce qui est vivant et je meurs mille fois plus profondément. J’ai aimé la vie mais ma plus grande joie aura été de la rompre comme, tant de fois, je me suis amusé à briser le silence par le rire. Je ne connais ni le chagrin, ni l’allégresse, le plaisir non plus que la douleur, mais je peux pleurer, jubiler, rire et gémir tout à la fois, immensément. Je suis le CIRQUE ! »

Il y a tant d’autres passages à citer…
Je suis d’ailleurs surpris qu’il n’y ait pas de critique car il s’agit là d’un excellent moment de littérature, couronné du Prix Goncourt 1991.
Un roman original vraiment à découvrir, un énorme coup de coeur.