Petits bonheurs de l'édition
de Bruno Migdal

critiqué par CHALOT, le 22 janvier 2012
(Vaux le Pénil - 76 ans)


La note:  étoiles
une petite perle
Voyage au centre de tri

D'habitude je trouve les témoignages sous la forme d'essais, ennuyeux, caricaturaux et bâclés.
Ils prennent le plus souvent la forme d'articles rallongés .
Celui ci est un petit bijou; le sujet est intéressant et instructif, l'écriture est soignée et le rythme alerte agrémente le tout!
L'auteur revient sur le stage qu'il a effectué durant le premier trimestre 2004 dans une célèbre maison d'édition parisienne.
Le simple stagiaire, amour des lettres qui à quarante-deux ans entame des études de lettres, voici là un sujet d'étonnement pour les professionnels qui l'accueillent.
Très vite, il est adopté par cette « société occulte »... il est vrai qu'il fournit une main d'oeuvre à très très bon marché.
Sa mission est claire : il doit lire des manuscrits proposés par des auteurs, établir des fiches de lecture afin de séparer le rare bon grain de l'ivraie!
Le côté cour est du domaine public, on connaît bien la musique; les romans et essais médiocres arrivent à la pelle. Chaque postulant estimant avoir produit une œuvre originale bien écrite.
Le côté jardin est moins « reluisant » :
Si les mauvais manuscrits sont effectivement rejetés, il en est d'autres émanant de postulants célèbres qui n'auront pas à se faire de bile , ils « peuvent, eux, envoyer des manuscrits calamiteux : ils peuvent même ne pas en envoyer du tout, on en écrira pour eux. »

Vous avez dit manuscrit? Mais monsieur plus personne n'adresse de manuscrit à un éditeur, c'est d'ailleurs « expressément signalé » c'est l'exemple « de mot dont le processus de fossilisation s'est opéré en une décennie sous nos yeux. Conservons-le le plus longtemps possible : « tapuscrit » arrive. »
Parfois les censeurs, pas les stagiaires mais les « aristocrates » de l'édition qui prennent la décision définitive de publier ou de rejeter un ouvrage, sortent du lot l’œuvre d'un inconnu...
Il vaut mieux être connu et célèbre pour sortir facilement un livre mais parfois l'étranger est déniché.

Avec finesse, humour et un talent d'écrivain, l'auteur de ce petit livre nous plonge dans l'univers fermé de ce microcosme qui fait la pluie et le beau temps...

Jean-François Chalot
Le mirage de l'édition 7 étoiles

« Les gens lisent, donc se sentent naturellement en droit d’écrire : imagine-t-on un simple mélomane frapper à la porte d’un orchestre ? » Et pourtant quel lecteur assidu n’a pas rêvé un jour de voir son nom sur un livre, même un tout petit, et n’a pas osé écrire un petit poème, un recueil, une nouvelle, un récit et parfois carrément un roman. Et ces lignes, pourquoi ne pas les envoyer à un éditeur qui publie certainement des choses pires que celles qu’il a écrite ?

Avant de succomber à cette tentation, je vous conseille cependant de lire ce petit opuscule écrit par un quadragénaire, passionné de lecture, un peu las de son travail de cadre administratif, qui a décidé d’entreprendre des études littéraires. Dans le cadre de cette formation, il doit suivre un stage qu’il effectue dans une vénérable maison d’édition de la rue des Saints-Pères à Paris. Il découvre ainsi les rouages et les mœurs d’une grande maison d’édition et toute la perversité du système.

Cette maison, comme toutes les autres, reçoit des montagnes de manuscrits (les gens ne lisent plus mais écrivent de plus en plus) évidemment tous plus mauvais les uns que les autres mais, cependant, les lit tous, enfin, les fait lire par des stagiaires chargés d’adresser ensuite la lettre de refus. Sauf une fois par an, les bonnes années seulement, quand un manuscrit est transmis au comité de lecture. Parfois le stagiaire est amené à formuler un avis sur le texte d’un auteur de la maison, un poulain de l’écurie, et là, patatras, il n’est pas rare qu’il se rende compte que le manuscrit en question n’est pas meilleur, parfois même plus mauvais, que ceux qu’il est chargé d’éconduire chaque jour.

Un petit livre frais, pétillant, malicieux, ironique, un peu impertinent qui déridera tous les auteurs éconduits et les rassurera quand à leur supposé talent. Le refus de l’éditeur n’est pas un critère de médiocrité, il faut juste, pour être édité, avoir quelque chose de plus que du talent : un nom, une image, un parcours, une recommandation (aléatoire), de la jeunesse, …, bref quelque chose sur quoi l’éditeur peut construire un projet rentable. Pour nous en convaincre, le stagiaire nous confesse qu’il s’est fait, lui aussi, évincer bien peu élégamment.

Ce stagiaire écrit fort bien, il aurait cependant pu faire l’effort de publier autre chose qu’un journal de stage ne nécessitant pas un grand effort de construction.

Débézed - Besançon - 77 ans - 29 mai 2012


La petite cuisine de l'édition 10 étoiles

Un peu d’appréhension en effet à l’ouverture de ce petit livre : la crainte d’un parti pris préalable au stage qu’a effectué volontairement l’auteur, et qui pourrait n’être qu’un prétexte pour dénigrer, critiquer, dénoncer de manière manichéenne et revancharde, sur un ton plein d’amertume.
Et bien pas du tout.
C’est fin, vraiment d’une grande finesse, et tout est intelligemment dosé : si Bruno Migdal souligne certaines pratiques pas forcément très louables et le copinage qu’on fait mijoter silencieusement, il n’omet pas non plus de se moquer gentiment de certains auteurs de manuscrits, qui ne doutent de rien et se voient déjà érigés au panthéon des grands écrivains.

« Nombre de manuscrits sont assortis de leur propre argumentaire : Vous trouverez dans mon roman une vision sans complaisance….qui jette un regard ironique sur notre société…l’auteur est-il si peu maître de sa facture qu’il lui faille en livrer le contenu implicite, les vertus supposées ? »

« Aujourd’hui le manuscrit d’une folle, orné de sa robe de mariée : 600 pages dont le tiers pour résumer son projet, un second tiers pour détailler l’emploi du temps nécessaire à sa réalisation, un autre tiers défaisant point par point les refus des précédents éditeurs, et comme aurait dit le papa de Marius, un quatrième tiers de récit pur, inachevé, truffé de barbarismes […]
Le roman n’est pas qu’une thérapie, et ne devrait s’envisager qu’après le divan, et non se substituer à lui. La politique maison, qui ne privilégie pas forcement le risque, me sauve la mise.
Chère madame, je vous remercie de m’avoir confié votre manuscrit que j’ai lu avec attention. Malheureusement notre capacité en matière de fiction étant limitée….
Son troisième chapitre se grossira donc de ce refus supplémentaire, qui contribuera à alimenter son œuvre dévorante. »

S’il met une pointe d’humour par ci par là, c’est tout en nuance et sans exagération.
Et il n’oublie jamais l’ingrédient essentiel : parler de la littérature.
Subtil et savoureux.

« A quand le Manuscrit blanc sur fond blanc, sur lequel le lecteur se reposerait la vue et l’esprit, qu’il pourrait noircir à loisir, selon l’humeur, accomplissant le livre parfait que chacun porte en soi ? Avec l’esprit d’innovation, de subversion, qui nous agite cela ne peut pas ne pas avoir déjà été proposé.

Monsieur, c’est avec enthousiasme que je n’ai pas lu votre texte que je me propose de ne pas faire lire à notre comité.
J’ai donc le plaisir de vous informer que nous devrions donner une suite favorable à sa non-publication. »

Sissi - Besançon - 54 ans - 13 avril 2012