Le Voyageur
de Natsume Sōseki

critiqué par Dirlandaise, le 18 janvier 2012
(Québec - 69 ans)


La note:  étoiles
Le gardien de mon frère...
Un jeune homme habitant Tôkyô entreprend un voyage jusqu’à Osaka afin d’y rencontrer un camarade d’études avec qui il a planifié de visiter la campagne japonaise. Il réside chez un ami de sa famille qui l’accueille avec son affabilité coutumière. N’ayant pas de nouvelles de Misawa, Jirô commence à éprouver de l’inquiétude et de l’angoisse. Il ne tarde pas à apprendre que son ami est hospitalisé et il s’empresse de lui rendre visite pour constater que Misawa est en bien mauvais état et que leur voyage est compromis. Heureusement pour lui, sa famille vient le rejoindre, brisant ainsi sa solitude et son ennui mais amenant aussi avec elle ses conflits latents et surtout, la mauvaise humeur de son frère ainé Ichirô, un intellectuel taciturne et tourmenté.

J’ai résumé succinctement le début du livre. Le style de Sôseki surprend de prime abord. Il décrit souvent tous les gestes de ses personnages, leur attitude, les objets qui les entourent, leurs vêtements avec force détails. Il en résulte un récit au rythme très lent presque envoûtant tellement l’auteur prend bien son temps pour tout analyser surtout lorsque les personnages conversent entre eux de sujets anodins ou plus sérieux. Les relations interpersonnelles sont au centre du roman et il ne se passe presque rien. Sôseki met l’accent sur les conflits entre les membres de la famille, leurs ressentiments les uns envers les autres, leurs taquineries et leurs difficultés à se supporter malgré un amour évident qui les unit. Et le mariage est aussi ce qui occupe les pensées de chacun. Quand donc Jirô trouvera-t-il une bonne épouse et quittera-t-il le foyer familial ? Cette question est au centre des préoccupations de ses parents. Mais le mariage du frère de Jirô bat de l’aile. Il délaisse son épouse ce qui inquiète encore les parents qui voient d’un mauvais œil la complicité qui unit Nao à Jirô.

Excellent roman basé sur le mariage et la difficulté qu’éprouvent souvent les époux à communiquer entre eux d’une façon satisfaisante. Sôseki traite ce thème avec une grande pudeur et une retenue qui force l’admiration. C’est d’une subtilité fine et l’écriture lumineuse du grand auteur japonais m’a éblouie par sa simplicité et sa beauté. J’aurais aimé cependant plus de phrases poétiques mais Sôseki a préféré la nudité et le dépouillement à l’ornementation chargée.

La clé du livre se trouve dans les cinquante dernières pages empreintes de philosophie où le lecteur apprend enfin la véritable identité du voyageur. Donc, il faut lire jusqu’au bout ce chef-d’œuvre du grand auteur que fut Sôseki.

« À travers le voilage où le vent s’engouffrait, je regardai, sous la pluie, le quai presque désert. J’entendis au loin à nouveau le cri : « Nagoya, Nagoya ! » Puis des pas résonnèrent comme s’ils avaient vécu par eux-mêmes. »

« Ce destin que l’humanité doit parfaire au bout de quelques siècles, je dois l’assumer moi seul, dans ma seule vie, et ça m’effraie. S’il ne s’agissait encore que d’une question de vie… Mais en dix ans, en un an, encore moins, en un mois ou en une semaine, je dois toujours assumer ce même destin, et ça m’effraie. Tu ne me crois peut-être pas, mais quelle que soit ma tranche de vie, qu’elle dure une heure ou trente minutes, j’y assume assurément le même destin, et ça m’effraie. Bref, je rassemble en moi seul l’angoisse de toute l’humanité et j’éprouve l’effroi de cette angoisse, si concentrée soit-elle en secondes et en minutes. »