Midnight Sun
de Elwood Reid

critiqué par Teacher, le 1 septembre 2002
(Pulnoy - 58 ans)


La note:  étoiles
LA FACE CACHEE DU REVE AMERICAIN ET AUTRES UTOPIES
Voilà un vrai roman d'aventures. Tous les ingrédients y sont: un décor (l'aspect sauvage, contrasté et encore vierge de l'Alaska, deux protagonistes aux tempéraments opposés mais cependant amis -du moins au départ-, une mission mystérieuse, un étrange Coeur d'Or et une sorte de gourou et puis pleins d'évènements imprévus qui sont autant d'obstacles pour nos aventuriers: l'attaque d'un ours, un incendie, des fusillades, des chasses à l'homme, des scènes d'amour, des explosions. De quoi nous tenir en haleine jusqu'au dénouement un peu, avouons-le, tortueux et confus. Par ailleurs, tout comme Jack, le narrateur-aventurier, le lecteur ne comprend pas ce qui se passe réellement dans ce camp étrange où nos deux héros sont partis à la recherche de la fille d'un vieil homme mourant. Tout comme lui, on ne sait pas ce qu'on va y trouver, et une fois sur place, on ne sait pas qui dit vrai, qui ment. Ceux en qui on avait confiance deviennent objets de méfiance et inversement. Cependant, les deux héros sont loin d'être des aventuriers professionnels. Ils sont ouvriers-charpentiers sur des chantiers et ressemblent au commun des mortels que les circonstances etl'argent proposé entrainent dans cette aventure.
Et ce roman d'aventure prend une autre dimension: celle d'un récit allégorique du rêve américain , ici démythifié. Ces deux hommes sont venus en Alaska
pour fuir leur vie antérieure (Burke) ou pour y trouver une forme de bonheur originel et simple dans une terre encore vierge et préservée (Jack) tout comme les différents immigrés qui sont venus depuis les "pères pèlerins" en Amérique attirés par cette "land of opportunity". Mais une fois atteinte, la Terre Promise ne tient pas totalement ses promesses : le travail est dur et lassant, on se fait exploiter. Dans les bars, des récits plus ou moins réels circulent non pas sur le "far-west"
mais sur le far-north. Le rêve américain pousse les hommes toujours plus loin, jusqu'à l'ultime limite, qui est ce camp étrange commandé par un homme défiguré par un ours dont le discours sur un retour à la nature hypnotise en apparence les adeptes. Oui, ce camp est une sorte de métaphore de l'Amérique , un vrai paradis quand on le regarde du haut de la falaise, où les gens sont apparemment
libres de se mouvoir à leur guise mais où l'enfer règne, la mort rode et guette, la liberté est très surveillée, les tentations sont présentes mais vite et hypocritement réprimées.
Elwood Reid ne se contente pas de démonter cette utopie qu'est le rêve américain mais il fait leur compte à toutes les utopies. Les doux rêveurs du camp se révèlent être soit des êtres
avides d'or et de pouvoir ou encore assoiffés de sang et de chair. Et même s'ils se mettent à chanter des chansons de Bob Dylan autour du feu, ils ne sont pas seulement portés par un quelconque idéalisme, même s'ils le croient. De même, le narrateur Jack, dont la motivation, pas très affirmée au début, semblait être de retrouver cette fille et de la sauver, découvre au gré des circonstances qui il est vraiment, ce qui l'a poussé ici, ce qu'il cherchait réellement et il devient animal: il dit vers la fin "je voulais me tirer. Je voulais l'or et je voulais la fille ".Tout ce qui apparait essentiel et profond à un moment donné se révèle toujours cacher des motivations moins nobles
quoique insoupçonnées par celui qui le ressent. Elwood Reid remet ainsi à sa place tout modèle utopique et nous invite à nous en méfier même contre nous-mêmes et nous livre un récit allégorique de la nature humaine, où le salut se trouve sans doute dans le désir toujours renouvelé, dans une quête perpétuelle car les moments les plus confortables dans ce roman se situent avant l'arrivée au camp, alors qu'on ne le trouve pas tout en espèrant le trouver ne sachant pas trop ce qu'on va
trouver.