Je suis le gardien du phare et autres récits fantastiques
de Éric Faye

critiqué par Sissi, le 16 janvier 2012
(Besançon - 54 ans)


La note:  étoiles
"L'éloge de la fuite"
« Il faut croire que quelque chose de plus tenace que le gel s’obstine à séparer les hommes » est sans doute une des phrases qui résume le mieux ce recueil de nouvelles, nommé plus précisément « récits fantastiques ».
Au nombre de neuf, plus ou moins longs, découpés en petits chapitres ou non, tantôt à la première personne tantôt à la troisième, ces textes ont tous en commun un genre burlesque, absurde, et comme thème récurrent l’incommunicabilité entre les hommes ainsi que la solitude à laquelle chacun est finalement condamné sans pour autant y trouver une source de bonheur.
Tous les personnages tentent de vivre quelque chose d’unique, dans une unicité revendiquée, et ne connaissent que la tragédie ou la déconfiture.

Peut-on échapper à sa condition d’homme qui a besoin des autres hommes ? Se retrancher du groupe uniformisé qu’est la société ? Il semblerait que non…
Le « gardien du phare » (le récit le plus long), fier comme un paon de l’être à tel point qu’il le ressasse incessamment et le déclame comme une ritournelle – « je suis le gardien du phare »- se coupe du monde volontairement mais ne cesse d’être obnubilé par les autres, dont il réclame, au fond, la présence et l’attention.

Et l’oubli ? A-t-on réellement et sincèrement envie de se faire oublier, après avoir oublié ? (ou l’inverse)
A Taka-Meklan, ville qui vit en autarcie et qui s’est vue rayée malencontreusement de la carte, on s’y emploie ; on apprend à « désapprendre, se détromper », « ici les gens poursuivent leurs désuétudes ». Est-il souhaitable d’y vivre ?

Eric Faye joue avec ses personnages, qu’il fait ballotter entre gravité et stupidité, avec les mots, aussi, beaucoup, avec nous, un peu, dans une série de textes différents mais qui se répondent les uns aux autres dans une très belle et très réussie unité de ton.

« Je pensai aux gardiens de phare sous la nuit océanique, aux villes coupées du monde, aux monastères perdus ; à tous les hommes qui, de leur propre chef ou non, faisaient l’expérience du retrait, de l’escale au for intérieur. Des lignes invisibles à l’œil nu reliaient ces points, et une part de moi vivait l’extinction des feux au mont Athos, un crépuscule en mer ou la nostalgie d’un garde-barrière. Sur le corniche des solitudes, Hivernage devenait un havre pour âmes en peine. »
Détournement de l'apparence 7 étoiles

Dans ce recueil de neufs récits dont le texte éponyme occupe la moitié des pages, Eric Faye revisite avec adresse les mythes classiques de la littérature fantastique : le train fantôme, le phare hanté, la ville endormie, la tour sans sommet, la porte qui ouvre toujours sur une nouvelle porte, la vie vécue par avance,… Neuf récits fantastiques mais plutôt neuf textes paraboliques, l’auteur ne se lance pas dans des constructions hautement chimériques, il se cantonne plus dans une exacerbation des tracas habituellement rencontrés dans la vie courante. L’exercice auquel il se livre est plus un détournement de l’apparence habituelle de la vie, une déformation de notre perception des choses, pour regarder le monde sous un autre angle, d’une autre façon, pour éviter ce qui déforme notre regard, pour approcher la vérité de ce qui guide l’humanité. « Nous, les jeunes, ne savons plus ce qui relève du mythe ou de la réalité. »

Ces textes ne s’écartent pas vraiment de la réalité de la vie qui reste très présente dans le recueil par des allusions récurrentes au contexte socio-économique et politique de notre monde. Le fil rouge qui pourrait relier ces textes serait une corde tressée avec une fibre d’appréhension de l’infini, l’inconnue derrière la porte ; une du temps qui passe, des souvenirs qui s’effacent progressivement, de la nostalgie qui cède peu à peu face à l’oubli ; une de la fin qui s’annonce, dernière étreinte, dernier orgasme, dernière caresse, dernier, …, dernière… ; et pour consolider le tressage de cette corde un bon brin de déshumanisation de notre univers.

Une copie honnête, un traitement solide mais sans génie novateur de ces mythes souvent visités, de belles formules, un style policé, académique, trop peut-être, une lecture un peu monotone qui manque de relief pour vraiment m’emporter. J’ai envie de parodier l’auteur quand il dit « « Lu trop de livres pour croire encore à la réalité ! », je dirais bien « Lu trop de livres pour croire en ces fantasmes ».

Débézed - Besançon - 77 ans - 19 février 2013