Dans l'abîme du temps
de Howard Phillips Lovecraft

critiqué par CC.RIDER, le 3 janvier 2012
( - 66 ans)


La note:  étoiles
Un classique fondateur de l'horreur onirique
Au tout début du XXème siècle, Lovecraft se retrouve victime de rêves récurrents et obsessionnels qui l'emplissent de crainte et même de terreur. Il se retrouve souvent dans une immense construction souterraine faite de basalte noir, de dallages octogonaux et de piliers plus hauts que ceux des cathédrales. Il se rêve dans la peau d'une sorte de scribe qui passe son temps à retranscrire des descriptions de la vie de son temps et de son espace. Plus les rêves reviennent et plus la réalité se confirme. Lovecraft ferait partie d'une sorte de programme d'échanges temporels et spatiaux. Des représentants d'antiques civilisations prendraient possession d'humains ou d'extra-terrestres d'autres époques et d'autres planètes pour voyager dans le temps et explorer le passé et l'avenir. Quand il commence à vouloir communiquer sur son expérience, tout le monde le prend pour un fou jusqu'au jour où deux professeurs australiens, Mackenzie et Freeborn lui proposent de les rejoindre pour explorer des ruines mégalithiques perdues au plus profond du désert...
Que de thèmes dans ce recueil de courts romans du grand Lovecraft ! Le rapport entre le réel et l'onirique, les anciennes civilisations disparues, les voyages dans le temps et le mythe des extra-terrestres fondateurs sans oublier les reptiliens précédant les humains et les insectes leur succédant après leur disparition de la surface de la terre. Publié en 1934, ce classique, qui se lit toujours avec énormément de plaisir et de facilité, nous montre quel précurseur fut Lovecraft et combien ses émules ne firent finalement que reprendre ses thèmes de mille et unes façons. Une lecture analytique de type freudien pourrait être fort intéressante et apporter un éclairage sur les pathologies dont notre auteur devait souffrir... Mais n'est-ce pas le cas à un degré plus ou moins grand de tout écrivain couchant sur le papier ses rêves, cauchemars ou obsessions et dévoilant à tout le monde les cavernes de son inconscient. Celles de Lovecraft étaient particulièrement enténébrées...
4 nouvelles parmi les chefs d'oeuvre de HP Lovecraft 10 étoiles

Ce recueil contient les plus grands textes de Lovecraft, et je suis peiné et surpris de le voir aussi peu apprécié sur CL. Initialement publié par Denoël dans sa fameuse collection « Présence du Futur », qui fut lancée en 1954 en révélant au public français deux des plus grands écrivains de science-fiction : Ray Bradbury et HP Lovecraft, « Dans l’abîme du temps » constitue à la fois un sommet et sans doute la meilleure entrée dans l’œuvre de Lovecraft. Lisez-le ! Si vous n’aimez pas, ne perdez pas de temps à essayer d’explorer les autres textes de Lovecraft : mieux laisser tomber car Lovecraft et toute sa cosmogonie des Grands Anciens ne sont pas pour vous. En revanche, si vous êtes sensible à l’angoisse cosmique qui se dégage des textes et au style si particulier de Lovecraft, à la fois ultra-rationnel et paroxystique, à la limite de la folie lucide, vous risquez bien de n’en jamais décrocher !

Les quatre nouvelles du recueil sont :

- Dans l’abîme du temps : cette nouvelle relate comment le professeur universitaire Peaslee, spécialiste en sciences politiques, reprend peu à peu possession de sa vie et de son corps, investi pendant 5 ans par l’esprit d’une entité extra-terrestre qui s’y est dissimulé pour étudier l’espèce humaine et ses savoirs. Pendant ces années, l’esprit du professeur a lui été entraîné dans un passé très lointain, quand la Terre était peuplée par une race extraterrestre qui y avait bâti une civilisation brillante avant de devoir fuir sous la menace d'une autre race. A son réveil, après une absence semblable à 5 ans d’amnésie, le professeur Peaslee est en proie à des souvenirs, qui ne lui semblent pas être les siens, et à des cauchemars.

- Les rêves dans la maison de la sorcière : un brillant étudiant en mathématiques loue une chambre dans une vieille maison d’Arkham, réputée pour avoir autrefois hébergé une sorcière. Sa santé se dégrade tandis qu’il fait de fréquents cauchemars où la sorcière vient le visiter et s’empare de lui en sommeil, lui faisant effectuer des actes en état de somnambulisme.

- L’appel de Cthulhu : il s’agit du premier des "grands" textes de Lovecraft, sans doute directement issu du traumatisme de ses années passées à New-York. Dans cette nouvelle à la construction complexe, un anthropologue découvre, suite à ses recherches menées à partir d’un bas-relief représentant une divinité à tête de pieuvre, sculpté par un artiste en proie à des visions cauchemardesques, qu’une gigantesque créature, enfermée dans R'lyeh, une cité sous-marine enfouie dans les fonds abyssaux du Pacifique, s’apprête à sortir de son sommeil et que des sociétés occultes, menant des rites et sacrifices humains, s’affairent à accélérer son réveil. Je recopie l’incipit de la nouvelle, qui définit parfaitement les fondements du mythe de Cthulhu :

La chose la plus miséricordieuse en ce bas monde est bien, je crois, l'incapacité de l'esprit humain à mettre en relation tout ce qu'il contient. Nous habitons un paisible îlot d'ignorance cerné par de noirs océans d'infini, sur lesquels nous ne sommes pas appelés à voguer bien loin. Les sciences, chacune creusant laborieusement son propre sillon, nous ont jusqu'à présent épargnés; mais un jour viendra où la conjonction de tout ce savoir disparate nous ouvrira des perspectives si terrifiantes sur la réalité et sur l'épouvantable place que nous y occupons que nous ne pourrons que sombrer dans la folie devant cette révélation, ou bien fuir la lumière pour nous réfugier dans la paix et la sécurité d'un nouvel âge des ténèbres.

- Les montagnes hallucinées : il s’agit d’un des derniers textes de Lovecraft, qui se confronte à l’un de ses maîtres en fantastique : Edgar Allan Poe. A partir du « voyage d’Arthur Gordon Pym » (c’est d'ailleurs la récente note de lecture de Koolasuchus qui m’a donné envie d’évoquer ce recueil où figure la reprise du texte de Poe par Lovecraft), il brode une variation d’une très grande puissance et d’une très grande richesse, qui a presque valeur d’exégèse du mythe de Cthulhu. Dans cette nouvelle, divers spécialistes de l’université Miskatonic montent une expédition scientifique en Antarctique (à l'époque, l'une des dernières zones inexplorées du globe et qui fascinait Lovecraft depuis l'enfance) : ils y découvrent une chaîne inconnue de très hautes montagnes, dont les sommets portent une architecture cyclopéenne inhumaine et sont percés de tunnels menant vers les profondeurs. Ils s'y engagent et trouvent les fossiles d'étranges créatures, ainsi que des spécimens étonnamment bien préservés…

Ces quatre longues nouvelles du recueil furent composées entre la fin des années 20 et le début des années 30. Elles se font mutuellement écho car toutes quatre reposent sur les concepts de la cosmogonie inventée par Lovecraft, dont le texte fondateur est « L’appel de Cthulhu », écrit et publié en 1926. Pour Lovecraft, l’humanité est une bulle d’écume dans l’infini des dimensions de l’espace et du temps, peuplées d’êtres et de forces d’une puissance et d’une intelligence incommensurablement supérieures. Certains de ces êtres ont déjà visité et dominé la Terre : l’humanité, qui se croit toute-puissance et triomphante dans ses réussites civilisationnelles et technologiques, n’est en fait rien qu’un fétu qui sera balayé quand les Grands Anciens reviendront. Seule notre ignorance de ce qui hante les béances cosmiques nous préserve d’une vérité si terrible qu’elle ferait basculer quiconque dans la folie. La terreur chez Lovecraft n’est pas une répulsion devant l’horreur : elle confine à une angoisse quasi-métaphysique d’anéantissement. Lovecraft ne fait pas œuvre de philosophe mais il aurait fait sienne l’affirmation de Claude Lévi-Strauss : « le monde a commencé sans l’homme et s’achèvera sans lui ». Tous les grands textes de Lovecraft, souvent de longues nouvelles ou brefs romans, sont des textes de révélation et de mise en confrontation avec une réalité qui nous dépasse. Le héros « lovecraftien » type est un homme isolé, souvent un intellectuel reclus ou un artiste solitaire, qui découvre par l’étude ou le rêve (qui est un vecteur majeur de compréhension du monde chez Lovecraft) la manifestation de forces et d’êtres venus des cieux, dont l’humanité n’a pas connaissance, à part des sorciers ou quelques rares individus initiés tenus pour fous (notamment Abdul al-Hazred, un poète dément ayant vécu vers 730, qui consigna dans un livre – le « Necronomicon » - les arcanes d’un savoir impie). Ces êtres ne nous sont pas forcément hostiles mais ils nous sont tellement supérieurs que l’humanité n’est rien pour eux, juste une forme de vie parmi d’autres, à éliminer comme une nuisance ou à asservir.

L’une des singularités de Lovecraft réside dans son souci extrême de rationalité. Esprit méthodique et curieux, il s’est intéressé aux découvertes scientifiques de son temps (notamment la naissance de la physique quantique et de la Relativité) et a essayé de conférer des fondements rationnels à ses délires de terreur cosmique. Ainsi, dans « Les rêves dans la maison de la sorcière » (deuxième nouvelle du présent recueil), le héros – un jeune et génial mathématicien – est visité en rêve par l’esprit d’une sorcière qui exploite les propriétés des géométries non-euclidiennes pour voyager entre les dimensions de l’espace et du temps. De même, dans « Les montagnes hallucinées » (dernière nouvelle du recueil), les descriptions ont la précision et la rigueur du vocabulaire scientifique le plus exigeant. Il s’est aussi plu à mêler, de manière souvent subtile, personnages réels et personnages fictifs, et même lieux réels et lieux fictifs (allant jusqu’à inventer la ville d’Arkham, qui revient de manière récurrente dans ses récits, notamment l’université Miskatonic)

L’autre singularité est sa recherche d’une confrontation permanente avec l’indicible. Lovecraft n’est pas poète (même s’il a écrit des poèmes mais d’un style ancien et souvent très narratif) mais il a des visions grandioses, que les mots peinent à décrire. Son style est parfois jugé assez lourd, notamment dans l’accumulation des adjectifs, mais il est aussi une exploration des limites du langage, qu’il pousse jusqu’au paroxysme et au point de rupture. L’indicible et le surgissement de l’impensable (pour reprendre une expression chère à Patrick Chamoiseau) sont au cœur de l’expérience poétique et c’est ce qui confère à certains textes, peut-être même à l’insu de Lovecraft lui-même, une beauté et une puissance d’impact presque sans égales dans la littérature. En outre, Lovecraft avait une réelle sensibilité artistique. Ainsi, dans « L’appel de Cthulhu », la révélation progressive de l’existence et du surgissement de Cthulhu se manifeste à travers la sensibilité d’un artiste qui ne comprend pas d’où lui vient son inspiration, d’une manière qui a sans aucun doute inspiré Spielberg (mais en renversant totalement la noirceur du sujet) pour le scénario de « Rencontre du 3ème type ».

La dernière singularité de Lovecraft, assez gênante (même si cela ne va pas empêcher Lovecraft de bientôt faire son entrée dans la collection de La Pléiade), est son racisme et sa misogynie. Dans ces quatre textes, ces défauts restent assez discrets (même si on y décèle çà et là des tendances racialistes) mais ils se révèlent sans ambiguïté dans d’autres textes plus mineurs. En fait, Lovecraft, né à Providence, a été transformé et traumatisé par son séjour à New-York, qui a provoqué l’échec de son mariage et renforcé son dégoût pour le monde où il vivait. Lovecraft, qui déclare fréquemment dans sa correspondance qu’il aurait aimé naître au 18ème siècle en Angleterre et vivre la vie rangée d’un gentilhomme puritain, se sentait comme étranger à la civilisation américaine, qu’il exécrait. Ne supportant pas l’effervescence consumériste de New-York, le grouillement de la foule cosmopolite, le dédale des rues dominées par les gratte-ciel (dont l’architecture cyclopéenne des Grands Anciens est sans doute le reflet névrotique), il laissa tout tomber, fuyant New-York et son épouse pour retrouver la quiétude de Providence, où il mena une vie presque recluse, entièrement dédiée à l’écriture. On l’a accusé, en raison de son racisme avoué et de son mépris des valeurs de l’Amérique conquérante, d’avoir eu des sympathies fascisantes mais sa correspondance montre qu’il les méprisait tout autant, comme si la civilisation était pour lui morte deux cents ans plus tôt, au 18ème siècle, et que tout ce qui avait été fait depuis les débuts de l'ère industrielle était néfaste et à condamnable.

PS : la couverture du recueil Folio est l'une des plus moches que je connaisse. On dirait que l'illustration a été faite par quelqu'un qui ne connaîtrait le recueil que par son titre et l'a interprété comme il a pu...

Eric Eliès - - 50 ans - 1 janvier 2025


Pas pour moi 5 étoiles

Ce n’est pas ma première tentative avec Lovecraft. Chaque fois je trouve l’ambiance très réussie mais chaque fois aussi, je n’entre pas vraiment dans l’histoire. Peut-être à cause de l’univers particulier de l’auteur qui ne me touche pas vraiment. "Dans l’abime du temps" est conforme à ce que je pense de l’auteur avec une histoire mystérieuse qui se voudrait angoissante mais non, une distance - Pour ne pas dire un ennui – S’installe et finit par me détacher du récit. Lovecraft et moi ça colle pas.

Kabuto - Craponne - 64 ans - 27 novembre 2022