Le temps qu'il fait
de Armand Robin

critiqué par Eric Eliès, le 30 décembre 2011
( - 50 ans)


La note:  étoiles
Uné épopée de la condition humaine et du pouvoir des mots
" Le temps qu’il fait " est une œuvre à laquelle je ne connais pas d’équivalent et il convient de ne pas se fier au résumé du 4ème de couverture, qui semble avoir été écrit par quelqu'un qui se serait contenté d'une recopie partielle de l'évocation du livre dans la préface au recueil de poèmes « Ma vie sans moi ». Ce livre n’est pas un roman de terroir et, en fait, n’est pas même un roman : il n'est pas narratif et le drame (qu’on peut résumer succinctement par : une paysanne bretonne meurt en s'égarant dans la tempête ; son mari, un paysan rude qui la battait, regrette de n’avoir su lui dire qu’il l’aimait ; il s’ouvre alors à son fils Yann, qui fuyait son père et avait trouvé refuge dans les livres) est à peine esquissé. En fait, ce livre, écrit dans la langue sublime et inventive d’un poète majeur du siècle (mais méconnu parce que n’ayant été inféodé à aucune école), est une épopée à la fois mystique, panthéiste et chrétienne, entrecoupée de poèmes, de dialogues et de monologues en vers et en prose (avec parfois quelques mots de breton), qui donne voix à la Création et aux forces de la nature avec une ferveur que je n'ai retrouvée que dans la poésie ou le roman "Colline" de Giono. Tout (le ciel, un cheval, un livre, un homme, le temps, la mort, Christ, un chien, Lénine, des brindilles de nuit, une fleur, etc.) parle en sa langue, souvent avec de sublimes inventions verbales, et veut célébrer l’Amour que menacent le silence et la mort. Tout est avide de parole. Les livres (celui que lit Yann puis celui que lui offre son père, qui ne sait pas lire et ne comprend pas son fils) sont une clef et une métaphore de la volonté qui cherche à surmonter le mur de l'incommunicabilité. Je ne connais d’œuvre rendant plus bel hommage à la puissance du langage et du Verbe (certes, il y a d'autres livres qui évoquent la puissance re/créatrice du langage, on pourrait évoquer Proust et même Villa Vortex de Maurice G Dantec, que je suis en train d’achever, mais les univers et les écritures de ces écrivains n’ont rien à voir avec ceux d'Armand Robin) ni de livre (et celui-ci fut écrit en 1941 au plus noir des années sombres !) cherchant davantage à transcender toute chose et la condition humaine pour l’épanouir jusqu’à l’Universel. Comme Yann, Armand Robin a connu la misère puis l'« aube merveilleuse où l’enfant des pauvres apprend à déchiffrer les secrets sublimes grâce auxquels la Terre est devenue humaine ! ».
« Le temps qu’il fait » est le seul livre d’Armand Robin qui ressemble à un roman. Ses autres oeuvres sont des poèmes, des essais (notamment La Fausse parole) et des traductions. En fait, Armand Robin, qui a grandi dans une ferme du Morbihan avec le breton comme langue maternelle, a été réellement fasciné par les langues et leur diversité, au point d’en apprendre plus d’une quinzaine pour devenir un traducteur interprète cherchant à restituer la vérité de parole des poètes qu’il traduisait. Catholique et anarchiste libertaire, attaché au respect de la personne (il se détacha très vite du communisme après un voyage en URSS effectué avant celui de Gide, qui eut un plus grand retentissement), il montra une prédilection pour les poètes opprimés par les régimes totalitaires (Blok, Pasternak, etc.) dont il était devenu un veilleur vigilant.
Unique roman de Robin 7 étoiles

Un auteur curieux, cet Armand Robin, né en Bretagne, n'ayant parlé qu'un patois breton jusqu'à sa scolarité, puis, une fois jeune adulte, s'étant tellement intéressé aux langues étrangères qu'il en parlera ou étudiera une quinzaine. Il a été en URSS, intéressé par le communisme, en est revenu anti-communisme tellement ce voyage l'a désenchanté. Il a fait des écoutes clandestines pour la résistance durant la 2GM, mais sera classé sur une liste noire à la Libération, et deviendra anarchiste et libertaire. Selon Brassens, qui l'a un temps côtoyé, il appelait, tous les soirs, le commissariat de son quartier et, après avoir donné son nom et ses coordonnées, traitait le commissaire, qu'on lui passait au bout du fil, de con.
Il est mort en 1961, tabassé par des flics qui ont agi ils ne savent vraiment pourquoi. Ses livres sont devenus rares, mal réédités pour certains (ça a un petit peu changé, mais pas tant que ça).
Essentiellement de la poésie et des traductions, mais en 1941, Robin (dont le physique était si passe-partout que les descriptions sur lui diffèrent parfois... pendant un temps, on a même cru qu'il n'avait peut-être pas vraiment existé, tellement il semble avoir été "englouti" par l'Histoire) publie "Le Temps qu'il fait", son unique roman.
Un roman bien étrange, une sorte de poème en prose en six parties, donc deux seulement sont romanesques. On a aussi deux passages façon pièce de théâtre poétique et lyrique, notamment...
Ca se passe en Bretagne, on assiste à la mort d'une paysanne, au désarroi de son fils Yann qui ne cause plus à son père depuis qu'il a appris que celui-ci battait sa mère, et qui s'est réfugié dans la lecture. Les deux vont s'expliquer, se retrouver...
Suivre ce roman (assez court, 210 pages, mais pas très facile à lire) est compliqué, l'apprécier aussi. Je ne suis pas sûr d'avoir réussi à l'apprécier, ce roman, d'ailleurs, je le relirai sans doute un jour, et comme à ce moment-là, je saurai déjà à quoi m'en tenir, sans doute l'apprécierai-je mieux. Je n'ai pas détesté, mais je ne conseillerai pas d'entrée de jeu. Il faut aimer la poésie, sinon c'est rédhibitoire.

Bookivore - MENUCOURT - 42 ans - 17 juillet 2021