Sanctuaire du coeur
de Du'o'ng Thu Hu'o'ng

critiqué par Myrco, le 28 décembre 2011
(village de l'Orne - 75 ans)


La note:  étoiles
une inspiration qui peine à trouver un nouveau souffle...
J'ai adoré Duong thu huong:" Terre des oublis", "Roman sans titre", "Au zénith"... Celui ci est mon 6ème roman de cette auteure et je serai plus réservée dans mon appréciation.

Comme l'expose la présentation de l'éditeur, l'argument est le suivant:
"La fugue de thanh plonge dans la stupeur ses parents, un couple de professeurs respectés (...) A seize ans, le jeune homme était promis à un brillant avenir (...).
Quand on le retrouve quatorze ans plus tard-en 1999 le temps du récit- il est devenu un gigolo, entretenu par une femme d'affaires rencontrée dans la maison close où il exerçait ses talents de prostitué. Comment-et pourquoi-ce jeune homme sans histoires en est arrivé là, c'est ce que dévoile ce roman "... de manière habile puisque la construction non linéaire ménage le suspense jusqu'à près des 2/3 de l'ouvrage.
Le livre est une oscillation permanente entre d'une part, un présent et un passé relativement récent -le parcours de Thanh depuis les évènements à l'origine de sa fugue jusqu'en 1999- et d'autre part, l'évocation d'un passé plus ancien, celui de son enfance heureuse, mais aussi celui d'autres personnages, pas toujours nécessaire à l'éclairage de la trame principale (là est une caractéristique de la Duong Thu Huong conteuse qui ne peut s'empêcher de nous raconter plusieurs histoires en une, en les imbriquant les unes dans les autres).

Il s'agit d'un tournant dans l'oeuvre: pour la première fois DTH nous parle du Vietnam d'aujourd'hui, celui des enfants de sa génération nés autour de 1970, elle qui née en 1947 a vécu son enfance baignée dans la guerre ou le souvenir de la guerre "française" d'Indochine et s'est trouvée engagée, côté vietcong dans la guerre "américaine".
Et c'est bien là l'écueil du roman -si je puis dire- à mon humble avis. Autant elle excellait dans l'évocation de "son" Vietnam, encore très imprégné de ses traditions culturelles, dans la restitution, avec ses tripes, d'une expérience vécue, autant ses oeuvres précédentes dénonçaient avec force et intransigeance un régime pourri, autant elle nous livre ici-du moins est ce mon ressenti- une oeuvre moins virulente, moins habitée et on la sent beaucoup moins à l'aise dans cette évocation du Vietnam d'aujourd'hui.
Même le style semble s'en ressentir quelque peu, moins riche d'images, plus répétitif parfois, moins sensuel, en un mot moins éblouissant.
Duong thu huong vit depuis maintenant cinq ans en exil à Paris, à l'abri des atteintes qu'elle a dû subir en tant qu'opposante au régime de son pays. Est ce cette distance dans le temps et l'espace qui l'aurait éloignée d'une partie d'elle même, projetant sur sa sensibilité à vif d'autrefois comme un léger voile qui tendrait peu à peu à effacer le contour des choses?

Bien sûr, elle dénonce toujours un certain nombre de déviations de la société vietnamienne sous le régime communiste: nullité de toute une catégorie d'écrivains aux ordres, corruption d'un appareil dont le discours s'inscrit en porte à faux avec le comportement, abus de pouvoir au nom de la révolution... mais je ne suis pas d'accord avec le rédacteur de la 4ème de couverture qui veut voir dans ce roman un "portrait sans appel d'une société vietnamienne déstabilisée et corrompue que dominent le sexe, le pouvoir et l'argent". Si telle était l'intention originelle de l'auteure, je dirais qu'elle est un peu passée à côté de son sujet. Hors une scène qui se veut plus réaliste vers la fin, le sujet de la prostitution masculine, a priori plutôt trash, me paraît traité de manière assez édulcorée. Cela n'est pas propre au Vietnam d'aujourd'hui, il n'ya là rien de nouveau sous le soleil. Pour le moins, il n'ya pas stigmatisation ni du côté des travailleurs du sexe dont DHT souligne le rôle thérapeutique et qui finalement parviennent à conserver une certaine dignité, ni du côté du proxénète (Monsieur Khoan plutôt sympathique et lui aussi victime du système corrompu), ni du côté des clientes.

Ce roman restera d'abord pour moi, le récit douloureux et mélancolique de la trajectoire d'un adolescent très profondément blessé et choqué, l'histoire d'un fils en rupture avec son père et dont l'amour transformé en haine les détruira implacablement tous les deux.

En conclusion: un beau roman néanmoins, mais qui pour moi souffre de la comparaison avec les ouvrages du même auteur lus précédemment et que je ne conseillerais pas en première lecture à ceux qui ne la connaissent pas encore.
De la prostitution masculine au Vietnam 7 étoiles

Disons le d’emblée, ce Sanctuaire du cœur m’a paru détonner par rapport aux ouvrages déjà lus de cette écrivaine. Le thème majeur ? (sûrement). Une évocation du Vietnam plus contemporain (où Duong Thu Huong ne vit plus) ?
Détonner mais n’en être pas moins intéressant. Néanmoins si je n’avais pas su que Duong Thu Huong en était l’auteur son nom ne me serait pas forcément venu en tête.
Soit un couple d’enseignants, Thy et Yên, - relativement aisé au regard des standards vietnamiens – vivant à Lan Giang, petite ville genre « sans trop d’histoires ». Ils ont un fils, Thanh, seize ans au moment du déclenchement du drame.
Dans un long prélude de 128 pages (le roman en compte 809), Duong Thu Huong expose la situation du couple, de leurs relations avec leur fils, de leurs interactions avec la société locale de Lan Giang. Elle jette en fait les bases du drame, drame qui va être raconté 14 ans plus tard, en 1999.
Drame ? Déchiré par ce qu’il a pu surprendre d’un acte de son père, Thanh va s’enfuir à seize ans avec un compagnon d’infortune. C’est alors un récit déchirant d’un « encore enfant » qui quitte le cocon familial pour être livré aux aléas d’une société vietnamienne qui n’est pas plus tendre, bien entendu, qu’une autre (à vrai dire, plutôt moins !). Il va finir comme prostitué dans une maison de passe masculine à Saïgon, puis gigolo attitré d’une femme d’affaires, Kim, affairiste et riche.
C’est un biais étonnant qu’a choisi Duong Thu Huong pour écrire sur le Vietnam contemporain, qui n’est clairement plus le sien. C’est un roman consistant, qui tient la route, mais qui m’a surpris venant de Duong Thu Huong.

Tistou - - 68 ans - 27 mars 2021


Un hommage mélancolique à l’innocence perdue 7 étoiles

J’étais un peu échaudé au départ par le sujet même de Sanctuaire du cœur, dont le protagoniste principal, Thanh, gagne sa vie en se prostituant auprès de riches femmes d’affaire. Cette entrée en la matière m’incitait à la méfiance, de par son côté éventuellement racoleur. Mais Duong Thu Huong est décidément une grande romancière. Si il m’a effectivement semblé que le livre était parfois plus cru, plus âpre que par exemple Terre des oublis (ce qui m’a également gêné dans un premier temps), ce choix sert parfaitement, avec le recul, cette peinture intime de la société vietnamienne, admirablement brossée ici, sans que la prose ne se dépare de la poésie et de l'émotion auxquelles l'autrice nous a habitué.

Les thématiques de Sanctuaire du cœur sont nombreuses. Les histoires familiales en sont une, et Duong Thu Huong démontre la puissance de son talent en la traitant, en faisant de son récit une sorte de roman choral complexe plongeant dans les histoires familiales des protagonistes, les secrets de famille honteusement cachés, les atavismes. Les retours dans le passé, les mises en abîme, s’avèrent parfois vertigineux (au risque de faire perdre le fil au lecteur !). Le nombre de personnages secondaire que l’autrice convoque et l’importance qu’elle leur porte participe aussi au sentiment de densité du livre. Rien n’est fait au hasard : la description psychologique des uns et des autres est admirable, réalisée avec réalisme et justesse, sans pathos, tandis que le poids du passé et de l’environnement familial pèsent sur les épaules des personnages. Et puis bien sûr on ne peut pas ne pas parler du Désir, un des thème centraux de ce livre, et ses corollaires, que ce soit la sexualité proprement dite ou bien même le rapport entre les hommes et les femmes.

En filigrane est évoquée également, comme souvent chez l’autrice, l’histoire récente de son pays, la période communiste en particulier, les changements que cela a pu induire dans les dynamiques des sociétés et des destins individuels. Cet arrière-plan culturel vietnamien, les traumatismes de la guerre puis de la dictature, se mêle au reste, intimement, autant à la violence inhumaine des prisons qu’à la merveilleuse odeur des pamplemoussiers en fleur. Le roman prend même des accents symboliques (le verger de longaniers, symbole de la tentation ; la relation œdipienne presque inversée entre Thanh et son père). Hommage mélancolique à l’innocence perdue et à notre enfance enfouie sous les scories de l’âge adulte, Sanctuaire du cœur s’avère à nouveau être une œuvre très forte et marquante.

Fanou03 - * - 49 ans - 30 avril 2018


"L'errance d'un homme blessé" ou "à chacun son histoire" 9 étoiles

Thanh se définit comme « Une espèce de lapin peureux qui finira par être la proie de la meute de loups affamés. La marionnette d’une série de pièces dont le metteur en scène est toujours le destin. J’ai fui Lan Giang (son village natal) à cause des événements abominables de la pagode Ham Long. A Nha Trang, je me suis retrouvé plongé dans l’horrible vie de la prison. Arrivé à Saigon, la faim et la vie dangereuse m’ont poussé dans les bras de monsieur Khoan (proxénète). Puis la rencontre avec Kim (femme richissime qui a l’âge de sa mère) à l’Orchidée pourpre m’a forcé à quitter la ville à son bras, une fuite décidée dans l’instant. Je n’ai jamais eu le temps de réfléchir ni de programmer ne serait-ce qu’un bout de ma vie. Lentille d’eau à la merci du courant, nuage au gré du vent, c’est ça ma vie. Est-ce la faute du destin ou la mienne ? A moi, cet incapable, toujours à dépendre des autres, cet imbécile de naissance ? » Cela résume bien son histoire.
Duong Thu Huong est une conteuse : elle coud une à une les histoires personnelles de chacun de ses personnages et de leurs proches, comme autant de nouvelles liées les unes aux autres. Et bon nombre d’entre elles sont bien cruelles en fin de compte. Ces histoires sont empreintes de malheurs dus à des maris paresseux, violents, drogués, flambeurs, des femmes violées ou volages, méchantes ou dominatrices ; le tout marinant dans la honte que pourrait entraîner le qu’en-dira-t’on. La morale de l’histoire de Thanh, c’est que la haine peut empoisonner et pourrir toute une vie, ainsi que celle des proches. Mais le lecteur doit imaginer imaginer les détails à la fin de l'histoire.
Pour l'anecdote, je suis frappée par le nombre incalculable de descriptions des repas mangés tout au long de ces 800 pages… qui sont un pur régal. Une description polychromée de la société vietnamienne, peu flatteuse !

Pascale Ew. - - 57 ans - 12 juillet 2015