La montagne en sucre
de Wallace Earle Stegner

critiqué par Poignant, le 27 décembre 2011
(Poitiers - 57 ans)


La note:  étoiles
L'amour d'une mère, la haine du père...
1905, Hardanger, bourgade perdue dans le Dakota du nord.
Elsa, jeune fille d’origine norvégienne, arrive du Minnesota pour aller vivre chez son oncle Karl. Elle vient de quitter le cocon familial où l’ambiance était devenue invivable.
Dans son nouvel univers, elle va faire la connaissance de Bo Mason, jeune homme qui a déjà bien bourlingué, grand joueur de baseball, fin tireur, beau parleur au physique de colosse. Ils vont bientôt se marier et avoir deux fils, Chester et Bruce...
Ce roman, grandement autobiographique, date de 1943. Cette saga familiale nous conduit dans une demi-douzaine d’état de l’ouest et au Canada et s’écoule sur une trentaine d’années.
Le père, Bo, éternel insatisfait qui a voulu faire rapidement fortune dans des territoires à peine défrichés, impose à sa famille son égoïsme et d’innombrables déménagements. Elsa, femme courageuse et dévouée, supporte l’aveuglement de son mari et ses projets chimériques tout en aimant profondément ses deux fils. Ceux-ci vont finir par détester leur père…
Dans la « Montagne en sucre », un Wallace Stegner trentenaire décrit avec maestria l’Amérique du début du XXème siècle, l’histoire de sa famille, sa jeunesse. Son style n’a pas la verve sociale d’un John Steinbeck, la vitalité d’un John Fante ou l’humour cynique d’un Erskin Caldwell. Mais derrière une base classique se révèle très progressivement une puissance d’écriture peu commune, qui fait qu’on n’arrive plus à refermer ce livre de 900 pages. Les personnages sont vrais, touchants, émouvants.
J’ai connu Wallace Stegner par la « Vie obstinée », écrit en 1967. J’avais alors été bluffé par son incroyable capacité à associer le chagrin et le bonheur, la vie et la mort. Eh bien il avait déjà su le faire 25 ans avant.
Cet écrivain est immense et bien trop peu connu en France. C’est le père spirituel de Jim Harrison, de l’école du Montana, mais il a aussi inspiré William Styron, Philip Roth ou Russel Banks.
A lire sans avoir peur du nombre de pages. Et à faire lire…
Que d'amour derrière tout ça!... 9 étoiles

Auteur américain discret, Wallace STEGNER (1909 - 1993) est assez peu connu en France, bien que lauréat d’un National Book Award et d’un Prix PULITZER. Il est classé dans « L’École du Montana », illustrée notamment par Jim HARRISON. « La Bonne grosse montagne en sucre » (« The Big rock candy mountain ») est un roman paru aux ÉTATS UNIS en 1943 et passe pour être en large partie autobiographique. Il s’agit d’un livre au volume imposant (804 pages chez Phébus), à la lecture facile malgré (ou grâce à ?) quelques longueurs. Le style parait parfois daté, parfois aussi affecté, à moins que ce ne soit la traduction qui laisse cette impression. Il reste que Wallace STEGNER écrit un peu en universitaire (il était titulaire d’une chaire d’écriture créative à Standford).
Nous suivons sur le premier tiers du XXème siècle les tribulations d’un couple improbable et inébranlable, et de ses enfants, dans le Middle West profond, aux marges de l’Ouest mythique, à un moment où, précisément, les illusions de la « conquête » commencent à s’estomper. Les grands événements qui auront marqué l’histoire de cette époque n’ont pas de grandes conséquences sur la vie de cette petite tribu très repliée sur elle-même moins par goût que du fait des circonstances, sauf pour ce qui est de la « prohibition », vécue comme une aubaine par le père.
Ce couple n’aura pas « tenu » que grâce au courage et à la patience de l’épouse, ELSA. Il n’y a aucune résignation chez elle ; elle sait être combative et ne cède qu’à son époux, par amour et par sens du devoir. À sa manière, le père aussi aura contribué à cette union sinon indéfectible du moins inlassable. De mal-aimé, il est devenu mal-aimant (ce qui n’est ni rare ni complexe) et la vérité de l’enfant qu’il fut, doué et audacieux, exposée à l’épreuve des réalités du monde, a « tourné » (comme « tourne » le lait) et a pris la forme (peut-on dire les apparences?) d’un être dénué de sens moral, se protégeant dans une gangue de brutalité. Mais que d’amour derrière tout ça!...
Un dernier point pour être précis. Le hasard a fait que j’ai lu ce livre peu après « Canada », de Richard FORD et je m’en trouve troublé tant les sujets et les récits sont proches. Richard FORD s’est-il inspiré (fortement, si tel est le cas) de Wallace STEGNER ? Peut-être, mais Richard FORD a alors mis l’accent sur la solitude alors que chez Wallace STEGNER, il s’agit d’amour (et de la solitude qui en découle...)

MAPAL - - 77 ans - 15 juin 2020


Lisez Wallace Stegner! 9 étoiles

Ce roman, traduit en 2002, a été écrit trente ans avant Angle d'équilibre. Mais il traite en fait du même thème, analysé avec peut-être moins de recul, et ça se comprend, trente ans de vie aident, quelquefois, à prendre du recul !
C'est une histoire très autobiographique, celle de la famille de cet écrivain américain mort en 1993.
Cette fameuse "candy mountain" représente ce qu'on appelle couramment le "rêve américain", partir de rien et arriver... à quoi, c'est autre chose !
La grande majorité des habitants de ce pays y aspiraient, en tout cas, en ce début de siècle dernier. De là à tous y aboutir....
C'est le récit d'une quête effrénée pour "réussir", en allant toujours plus loin et de manière toujours plus aventurière, du père, donc, de Wallace Stegner, un homme de l'étoffe des premiers pionniers, mais né un peu tard, peut être, alors que la fortune des pionniers est déjà faite, et qu'il ne reste que des miettes à grappiller dans des conditions toujours plus difficiles.
Cet homme traîne derrière lui sa famille, bien obligée de suivre et de s'adapter, sa femme (merveilleux hommage rendu à la femme dans son personnage de mère, le reste est beaucoup plus ambigu) et ses fils, de plus en plus révoltés par les sautes d'humeur d'un père éternellement sujet à des revers de fortune. Un des fils en mourra, et l'autre deviendra universitaire puis écrivain, et son histoire familiale lui servira de trame pour ce premier roman.
A la mort du père, ce fils va lui rendre une sorte d'hommage en écrivant : "Harry Mason était et un enfant et un homme. Quoiqu'il fît jamais, à n'importe quel moment de sa vie, il fut, jusqu'en ses colères, un être mâle de bout en bout, et il fut presque toujours un enfant.
A une époque plus ancienne, en d'autres circonstances, il aurait pu être un individu montré en exemple par la nation toute entière, mais il n'eût été en rien différent. Il n'en fût pas moins resté un être humain au développement imparfait, un animal social immature ; or, plus la nation va de l'avant, moins il y a de place pour ce genre de personnage. Harry Mason vécut avec celle qui fut ma mère et que je révère pour sa bonté, sa douceur, son courage et sa sagesse. Mais j'affirme, en ce jour où sont célébrées les obsèques de cet homme, et en dépit de la haine que j'ai eue pour lui pendant de nombreuses années, qu'il possédait plus de talents, plus de ressources et d'énergie qu'elle. En affinant les qualités de ma mère, on arriverait à la sainteté, jamais à la grandeur. Ses qualités à lui étaient la matière brute à partir de laquelle se construisent les hommes remarquables. Quoique je l'aie toujours détesté, et bien qu'aujourd'hui je ne l'honore ni ne le respecte, je ne peux lui retirer cela..."


Dans des extraits d'entretiens publiés par le journal Libération en juin 2002, Stegner, parlant de la littérature, écrit :
"Penser qu'il y ait quelque chose de nouveau à dire, à mon sens, ne mène à rien. Ce qui importe, c'est la compréhension toujours plus approfondie de ce qui de tout temps a existé."

C'est ce que, je pense, il a essayé de faire au long de son oeuvre (du même auteur, toujours chez Phébus, deux très beaux romans d'un écrivain plus assagi sinon plus serein, "Vue cavalière" et "La vie obstinée") comme le dit Heyrike.

Paofaia - Moorea - - ans - 27 décembre 2013


A l’ouest du mythe 8 étoiles

Elsa fuit la demeure familiale, après que sa meilleure amie se soit mariée avec son père. Elle part habiter chez son oncle établi plus à l’ouest. Dans ce lieu abandonné, elle fait la rencontre de Bo Mason, un jeune homme ambitieux. Celui-ci tient un débit de boisson qu’il espère faire prospérer. Petit à petit ils vont s’apprivoiser, jusqu’à lier leur avenir et partager leurs rêves de réussite que seule l’Amérique peut offrir.

Bob Mason croit encore au potentiel qu’offre ce pays, et pour cela il est prêt à tout. Nous sommes en 1904, la conquête est terminée. Mais lui préfère l’ignorer.

La venue des enfants et son affaire qui périclite marquent un coup d’arrêt brutal à la vie d’aisance programmée par Bo Mason. Les relations conflictuelles avec sa femme et ses enfants étant devenues insupportables, il décide de partir seul au Canada pour accomplir son destin.

Le temps s’écoule et les rêves demeurent. Elsa et Bo se retrouvent. Ensemble ils vont faire perdurer cette idée que tout est possible, même si Elsa désapprouve les agissements de son mari. Aux moments d’euphorie succèdent des moments d’abattement terrible. Bo sait être très attentionné lorsque les événements lui sont favorables, mais dès que tout tourne mal, il se comporte comme un monstre. Ses enfants, Chet et Bruce, en feront les frais à maintes reprises.

Bob Mason trimbale sa famille à travers tout le pays à la recherche de l’Eldorado. Il devient tour à tour gérant d’un tripot, d’un casino et d’une mine d’or, sans oublier de s’adonner de manière régulière au trafic d’alcool.

Toutes ses tentatives se transforment en échecs cuisants, mais Bo persiste à chaque fois. L’aveuglement est son credo. Rien ne peut l’arrêter, pas même la souffrance de sa femme et des enfants qui doivent composer avec ses désirs insensés. Dans sa chute vertigineuse, il entraîne toute sa famille. Jamais il ne lui arrive de penser à ce qu’ils ressentent, il croit que son action est louable parce qu’elle contient toutes les promesses dues à tous les citoyens de ce pays. La montagne en sucre, d’où s’écoulent tous les flots des délices, ne peut être que l’ultime aspiration de tous. Impossible pour lui de percevoir que le bonheur réside ailleurs, là où l’amour est un appel éternel qui solidifie les liens avec les êtres que l’on chérit.

Un magnifique roman, certes très long mais jamais ennuyeux, à travers lequel l’auteur déconstruit pas à pas le mythe d’une Amérique idéaliste. Il dresse un tableau peu flatteur d’une émergence historique fossilisée dans l’imaginaire collectif. Ici rien n’est abstrait, tout est dit sans fioritures. Ici se pose la question de savoir si tout cela a véritablement existé un jour. Ce pays a t-il jamais été à la hauteur de ce qu’il promettait ? Dans cet engouement frénétique de conquête et de réussite, n’y a-t-il pas une frustration plus grande que le fait d’échouer alors que tout n’était qu’une profusion de promesses ?

Il faut lire aussi "La vie obstinée" une petit merveille d’écriture à savourer sans modération.

Heyrike - Eure - 56 ans - 22 mai 2013